10e sommet de la CEN-SAD : Kaddafi, le trouble-fête

10e sommet de la CEN-SAD

Kaddafi, le trouble-fête

 

A Cotonou au Bénin, parce que le gouvernement de l’Union Africaine, sa nouvelle marotte, tarde à voir le jour, Mouammar Kaddafi a étrillé les organisations régionales,  coupables, selon lui, de la non-édification de l’exécutif continental. A ce 10e sommet des chefs d’Etat de la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD), tenu le 17 juin 2008, le dirigeant libyen est allé de ses imprécations pour faire avancer le projet panafricaniste, qu'il a fait sien. Au point de froisser la susceptibilité de ses pairs.

 

Kaddafi, c’est … Kaddafi. Au 10e sommet des chefs d’Etat de la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD), le leader de la révolution libyenne est resté fidèle à sa réputation. Dans la zone abritant les villas présidentielles, nouvellement construites, une résidence détonne : spacieuse, cossue et étincelante de marbre. C’est la libyan résidence Marina. Le-pied-à-terre du «guide».  Devant l’entrée, sont stationnées une cinquantaine de motards et autant de véhicules. Un grand nombre de gardes du corps, armes dissimulées sous les vestes, mitraillent les passants d’un regard tétanisant. En face, de l’autre côté de la grande voie bitumée, sont parqués plusieurs tracteurs agricoles. Assurément un autre don de Mouammar Kaddafi au pays hôte à l’occasion de cette rencontre des dirigeants de la CEN-SAD, qui a fêté le 4 février 2008 son 10e anniversaire. Un équipement agricole dont le symbolisme renvoie au thème de la session : «Développement rural et sécurité alimentaire dans l’espace CEN-SAD».

Cinq jours durant et avant la rencontre des chefs d’Etat, experts et ministres ont procédé au bilan des actions de l’organisation et une table ronde a élaboré une stratégie commune en matière de coopération avec les partenaires extérieurs : «Nous demandons maintenant aux bailleurs de fonds de contribuer concrètement, non pas  à nous donner de la nourriture, mais à nous permettre de produire nous-mêmes sur place, à travers la production d’engrais et de semences et à créer des usines qui nous permettront d’atteindre l’autosuffisance alimentaire», a expliqué le ministre burkinabé chargé de la coopération régionale, Mme Minata Samaté. Les dirigeants des pays membres de la communauté devaient, quant à eux, se pencher sur l’état économique de l’espace communautaire, sur la situation des conflits en Afrique, sur la question de la sécurité dans le nord malien et nigérien, secoué par des rébellions touaregs. Le secrétaire général de la CEN-SAD, Mohamed Al-Madani, et le président de la commission de l’Union Africaine, Jean Ping, ont tous deux exprimé leurs préoccupations face à la multiplication des foyers de tension sur le continent noir. Al-Madani a particulièrement dénoncé le recours aux armes comme moyens d’expression et appelé à l’accélération du processus de ratification du mécanisme de règlement des conflits.  Face à la crise alimentaire généralisée, qui secoue la grande majorité des pays sahélo-sahariens,  le président béninois, le Dr Thomas Boni Yayi, a fait deux propositions de thérapie : l’une portant sur la création d’une autorité chargée de la coordination des politiques agricoles et l’autre sur la mise en place d’un fonds de développement pour l’aménagement des terres, la réalisation de fermes semencières et la maîtrise de l’eau. «En dépit de ses potentialités, notre communauté ne parvient pas encore à assurer l’autosuffisance alimentaire, situation accentuée par la hausse généralisée des prix des produits», a regretté le nouveau président en exercice de la CEN-SAD. Que faire donc ? Boni Yayi a indiqué la voie de l’intégration sous-régionale, «indispensable dans la lutte contre l’insécurité alimentaire». Mais le «guide» de la révolution libyenne, président sortant de la CEN-SAD, qui faisait mine de s’ennuyer à 100 sous de l’heure lors des discours de ses prédécesseurs à la tribune,  préfère, lui, jouer la carte du gouvernement de l’Union Africaine, traitant les organisations régionales d’instruments au service des intérêts de l’Occident. Dans sa longue intervention, près de 45 minutes, «l’architecte des Etats-Unis d’Afrique» s’est mué en démolisseur acharné des organisations régionales.  Et aucun mot ni aucune expression ne seront assez durs pour exprimer la subite exécration du colonel Kaddafi pour les autres regroupements communautaires : «L’existence de ces communautés régionales est un obstacle à l’intégration africaine et cela risque de créer des guerres de régions et de frontières. L’Afrique ne sera jamais unie tant que l’on parlera de communautés régionales. C’est un échec, il n’y a pas d’union régionale».

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ? «Une création du Nigeria pour attirer les petits pays. Elle n’a rien réalisé». La Communauté des Etats de l’Afrique australe ? «Une invention de l’Afrique du Sud pour écouler ses produits ». L’Union du Maghreb arabe (UMA), dont il est le président en exercice ? «Zéro. L’Algérie et le Maroc entretiennent toujours des relations difficiles». L’Union pour la Méditerranée ? «Une reconstitution de la carte de l’empire romain». Le souffle haut, les gesticulations de plus en plus intenses, «la guest stars» du sommet finit par railler : «Dire que ces communautés régionales ont apporté quelque chose au continent est une historiette à raconter aux enfants. J’appelle à l’élimination de la CEDEAO, de la SADEC et de la CEMAC».

Seules trouvent grâce aux yeux du «guide» la CEN-SAD, bien sûr, dont il est «le haut médiateur», et le gouvernement de l’Union Africaine, dont la longue gestation a fini par provoquer l’ire de l’homme fort de Tripoli. Dans un sans-gêne diplomatique, Mouammar Kaddafi a lancé tous azimuts les pics oratoires dans la salle de conférences du Palais des congrès : «Ceux qui s’opposent à la constitution du gouvernement africain, en prétextant que le moment n’est pas encore arrivé, sont des ignorants  et des traîtres à la solde de l’Occident. L’histoire et les peuples finiront par découvrir leurs motivations réelles». Propos martial du leader de la révolution libyenne, qui n’hésite pas, à l’occasion, d’exhiber son portefeuille, jamais à court de pétrodinars : «La Banque centrale libyenne apportera à la CEN-SAD des milliards de francs. Celui qui voudra en bénéficier devra rejoindre la Communauté».

Ce 10e sommet a aussi été marqué par l’adhésion à la CEN-SAD du Kenya, de la Mauritanie et de Sao Tomé et Principe, portant ainsi le nombre de pays-membres à 28.

 

Alain Saint Robespierre

Envoyé spécial à Cotonou

L’Observateur Paalga du 19 juin 2008





19/06/2008
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