Affaire TELECEL Faso : "Il y a de nombreux magistrats compétents et honnêtes..."

Affaire TELECEL Faso

"Il y a de nombreux magistrats compétents et honnêtes..."

(Me Barthélémy Kéré)



Maître Barthélémy Kéré est avocat conseil dans l'affaire Telecel Faso. Nous sommes allés à lui pour mieux comprendre la situation au niveau de cette société de téléphonie mobile. Au passage, l'avocat donne son point de vue sur une lettre qui nous est parvenue de source étrangère à son cabinet, et adressée à la "Haute autorité de contrôle de l'Etat."

 

"Le Pays" : Nous avons publié dans notre édition du 14 juillet 2008 une correspondance signée de vous qui interpelle la "Haute autorité de contrôle de l’Etat" sur l’affaire Telecel Faso. Que reprochez-vous au juste à la Justice burkinabè dans cette affaire?

 

Me Barthélémy Kéré : Je voudrais avant tout propos vous remercier pour avoir pris l’initiative de m’approcher et de me permettre ainsi de dire un mot sur la campagne médiatique malsaine qui entoure le dossier judiciaire de TELECEL FASO.

Cela dit, j’ai été très surpris de lire dans votre édition du 14 juillet la fameuse correspondance à laquelle vous faites allusion. Contrairement à ce que vous dites, je n’ai jamais signé une telle lettre et je ne l’ai adressée ni à votre Journal ni à la prétendue "Haute autorité de contrôle de l’Etat" qui, à ma connaissance, ne fait pas partie de l’environnement institutionnel du Burkina Faso. A côté d’institutions comme l’Inspection des services judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature, il y a eu la création récente de l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat, mais j’ignore s’il est de sa compétence de régler les questions qui sont soulevées dans la lettre que vous avez publiée.

Il est indéniable que notre justice connaît des difficultés de fonctionnement, mais je pense que ce n’est certainement pas en jetant les magistrats en pâture à la presse qu’on trouvera des solutions pérennes à ces préoccupations.

 

Au fond, quelle est la nature du problème posé ?

 

Comme vous le savez, TELECEL FASO est une société de téléphonie mobile dont le capital est partagé entre deux actionnaires : la société ATLANTIQUE TELECOM qui détient 56% des actions et PLANOR AFRIQUE propriétaire de 44% des actions.

PLANOR AFRIQUE est rentrée dans l’actionnariat de TELECEL FASO à la suite d’une cession par ATLANTIQUE TELECOM d’une partie de ses actions dans le capital de TELECEL FASO et à ce titre, il n’est pas contesté que PLANOR AFRIQUE reste devoir à ATLANTIQUE TELECOM la rondelette somme de quatre cent cinquante millions (450.000.000) de F CFA représentant une partie du prix de cession.

En tant que société de téléphonie, TELECEL FASO a signé avec l’Autorité nationale de régulation des télécommunications (ARTEL) un cahier des charges. Malheureusement, le respect par TELECEL FASO de ses engagements avec l’Etat du Burkina Faso et de ses partenaires techniques et financiers a été mis à mal par les entraves créées par PLANOR AFRIQUE.

D’innombrables procédures judiciaires ont été initiées par cet actionnaire minoritaire dont les deux principales ont donné lieu aux décisions suivantes :

- Le 27 février 2008, le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou a annulé l’augmentation du capital de TELECEL FASO à hauteur de six milliards (6 000 000 000) de F CFA. Il faut souligner que cette augmentation qui répondait à un impératif légal a permis de financer de nouveaux investissements ;

- le 9 avril 2008, le même Tribunal a condamné la société ATLANTIQUE TELECOM à céder toutes ses actions détenues dans le capital de TELECEL FASO à PLANOR AFRIQUE l’actionnaire minoritaire qui, soit dit au passage, n’a pas encore fini de payer sa dette de 450 000 000 F CFA. Nous estimons qu’une telle décision s’analyse comme une forme d'expropriation privée. En outre, en dépit de la gravité de ces décisions, le Tribunal les a assorties de l’exécution provisoire nonobstant appel.

En tant qu’avocat, j’ai exercé les voies de recours que m’offre la loi. Ces décisions sont déférées à l’examen de la Cour d’appel. J’ai saisi le président de la Cour d’appel comme le prévoit la loi en pareil cas, pour lui demander de faire surseoir à l’exécution provisoire ordonnée par le jugement ; il est vrai que le président de la Cour d’appel ne m’a pas suivi et il n’était pas tenu de le faire.

C’est vrai aussi que pour me préparer pour l’audience, j’ai vainement recherché le jugement qui s’est révélé être en possession de mes contradicteurs depuis plusieurs semaines. J’ai protesté comme j’ai pu; je suis toujours sur les recours en espérant que les choses iront mieux pour le jugement relatif à l’expropriation des actions. En tant qu’avocat, je continuerai de me battre jusqu’au bout, en faisant usage des voies de droit. Telle est la situation à TELECEL FASO à ce jour.

 

Il semble que vous avez gagné avant des batailles et que c’est parce que vous avez maintenant perdu la guerre que vous vous agitez et que vous voulez jeter l’opprobre sur la justice.

 

Je laisse l’entière responsabilité de ces déclarations à leurs auteurs. Je puis simplement vous dire que je suis avocat et je n’exerce que mon métier. Des décisions de justice (bonnes ou mauvaises) ont été rendues. J’ai toujours suivi les voies de droit pour exprimer et faire valoir la position et les intérêts de mes clients. De nombreux magistrats me connaissent de ce point de vue: lorsque je perds un procès, il m’arrive de chercher à rencontrer le juge qui a rendu la décision pour échanger avec lui sur les questions de droit discutées. Je n’utilise pas cette voie malsaine de la presse pour dénigrer qui que ce soit. Votre journal m’est témoin : lorsque j’étais bâtonnier, vous avez constaté que je n’ai jamais répondu à une attaque de presse et vous savez qu’il y en a eu. Dans le cas de TELECEL FASO, si pour les uns, la guerre est gagnée, pour ma part, je poursuivrai toujours devant la Justice malgré ses imperfections, la bonne et saine application des règles du Droit OHADA, droit supranational régissant les sociétés commerciales. Il y a de nombreux magistrats compétents et honnêtes qui sont à la Justice et il n’est pas possible de toujours les contourner.

Pour l’instant, c’est le Tribunal de grande instance qui a rendu ses décisions ; la Cour d’appel s’est seulement prononcée sur le maintien de l’exécution provisoire mais sa décision ne signifie pas que la Cour d’appel suivra la décision du Tribunal de grande instance. Et après la Cour d’appel, la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) dont le siège est à Abidjan pourra être saisie pour départager les parties en conflit sur l’interprétation et l’application des normes issues de l’OHADA. C’est la décision définitive de cette instance de haut niveau qui mettra fin au débat judiciaire.

 

Au regard de ce qui précède, comment voyez-vous l’avenir de TELECEL Faso ?

 

TELECEL FASO est une société de téléphonie mobile dans laquelle ATLANTIQUE TELECOM a mis de l’argent. Elle a eu des difficultés avec son partenaire burkinabè PLANOR AFRIQUE et elle a fait valoir ses droits dans le cadre de différentes procédures judiciaires. Il est bien évident que si elle n’avait pas confiance en la justice de ce pays, elle n’y serait pas venue investir.

Il nous a été annoncé l’arrivée prochaine d’un autre actionnaire majoritaire conformément au jugement et au refus du sursis. Je rappelle que ces décisions n’ont aucun caractère définitif, la Cour d’appel elle-même, en formation collégiale, aura d’abord à se prononcer sur les jugements. Ensuite, la CCJA, Cour de cassation des décisions rendues en application des Actes uniformes, aura à examiner la légalité des décisions rendues au Burkina Faso, soit sur la saisine d’ATLANTIQUE TELECOM si la Cour d’appel confirme les décisions, soit sur la saisine de PLANOR AFRIQUE si la Cour d’appel donne raison à ATLANTIQUE TELECOM comme je l’espère.

Si la guerre, comme il se raconte, est finie par la victoire de PLANOR AFRIQUE et que l’Administration provisoire a réussi à équilibrer les comptes en six (06) mois, c’est tant mieux pour TELECEL FASO et pour tout son personnel !

Mais en attendant, je constate à la lecture de la presse que l’Administration provisoire et le personnel sont en conflit ouvert. Au demeurant, il n’est pas extraordinaire de comprendre ce qu’on appelle équilibrer les comptes en six mois : un actionnaire majoritaire incorpore plus de six milliards de F CFA dans une société pour une augmentation de capital ; le juge annule cette augmentation sans que l’actionnaire soit remboursé ; cet actionnaire injecte plus de onze milliards de francs en compte courant et que cela n’est pas apuré ; si donc avec dix-sept milliards sans compensation comptable vous ne faites qu’équilibrer les comptes, c’est une injure à la comptabilité !

L’avenir de TELECEL FASO sera connu à l’issue de toutes les procédures devant la Cour d’appel et devant la CCJA parce que la justice aura définitivement tranché. Il n’est pas non plus exclu que d’autres initiatives et voies de règlement alternatives soient envisagées. Nous sommes dans le domaine des affaires et il arrive que les choses se dénouent à la surprise générale. Cela dit, je ne voudrais pas me mettre à la place de Dieu qui, lui, sait déjà quel est l’avenir de TELECEL FASO.

 

Vous avez, par ailleurs, été interpellé au sujet d’un "chantage honteux des investisseurs étrangers". Pensez-vous qu’une telle affaire est susceptible de décourager les investisseurs ?

 

Je ne sais pas si un investisseur sérieux peut se laisser prendre par les manipulations d’un maître chanteur. Un investisseur, quel qu’il soit, national ou étranger, met de l’argent dans une affaire et il en attend une rentabilité. S’il gagne, il continue, s’il perd, il s’arrête. Aucun investisseur ayant une participation majoritaire dans une société anonyme fonctionnant suivant les règles de l’OHADA n’ira investir dans un pays où il sait que du jour au lendemain, ses actions seront saisies par l’actionnaire minoritaire et vendues à un tiers désigné par cet actionnaire minoritaire.

A cet effet, il est fondamental pour l’opérateur économique que la justice soit crédible. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le leitmotiv de la Banque mondiale et des autres partenaires au développement.

 

Vous avez quitté la Maison de l’Avocat en 2006 après avoir géré le Barreau en qualité de Bâtonnier de l’Ordre des Avocats depuis 2003. Est-ce que la reprise de vos activités s’est faite sans difficultés ?

 

Je voudrais profiter de votre question pour réitérer mes sincères remerciements à l’ensemble de la presse écrite et audiovisuelle de notre pays qui m’a accompagné durant mon mandat à la tête du Barreau. Je remercie également l’équipe avec laquelle j’ai travaillé et avec qui nous avons apporté notre modeste contribution à la visibilité du Barreau burkinabè et à la consolidation de l’Etat de Droit. Vous me permettrez aussi de saluer l’action et la disponibilité des nombreux confrères qui ont cru en notre programme et n’ont ménagé aucun effort pour nous accompagner. Ce fut une belle expérience et nous avons passé le témoin à une équipe qui, depuis 2006, travaille également à lustrer davantage le Barreau. Cela dit, je n’ai éprouvé aucune difficulté à continuer l’exercice de mon métier que je n’avais pas, du reste, abandonné du fait de ma fonction temporaire de Bâtonnier de l’Ordre des Avocats.

Par ailleurs, je suis entouré d’une bonne équipe d’avocats qui travaillent dans un parfait esprit de collaboration à la satisfaction de nos clients. Ce qui me laisse au demeurant le temps d’occuper honorablement mes fonctions à la Commission électorale nationale indépendante (CENI).

 

Propos recueillis par Morin YAMONGBE

Le Pays du 21 juillet 2008





22/07/2008
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