Le navire CDP est-il en perdition ?

Remous internes au parti majoritaire

Le navire CDP est-il en perdition ?

Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) est ce parti qui, depuis sa création au milieu des années 90, vole de victoire en victoire lors des consultations électorales. Il est également cette formation politique qui compte le plus de militants, de sympathisants et d’électeurs au Burkina. Son surnom de "grand parti" n’est donc pas le fait du hasard ou l’expression d’une certaine complaisance.

Mais ne voilà-t-il pas que depuis quelque temps, il fait l’objet de supputations, de commentaires et de pronostics à vous donner froid au dos. Quelques faits inspirent ces réflexions. Sont de ceux-là :

 le départ de Salif Diallo du gouvernement. Ce dernier était perçu ou considéré comme la personnalité forte du parti à même de faire respecter ce dernier par l’Exécutif et l’Opposition. Mieux, en tant que ministre d’Etat chargé de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, ses moyens d’actions sur les plans matériel et financier alourdissaient davantage son poids politique sans oublier les réseaux de relations tissés savamment dans l’Administration,

les milieux d’affaires, la société civile et au plan international. Tant et si bien que pour beaucoup d’observateurs et de militants CDP, une grande partie du respect que le parti inspirait provenait de Salif Diallo. Celui-là, une fois remercié de la façon que l’on sait, laisserait le CDP sans arme offensive ni défensive ;

 le tempérament de Roch Marc Christian Kaboré, président du CDP et de l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, nombre d’analystes et de commentateurs de la vie politique nationale voient à travers le profil psychologique modéré et tempéré de Roch une forme de mollesse doublée d’une désorientation consécutive à la perte par Salif Diallo d’une de ses béquilles (le portefeuille ministériel).

Le parti majoritaire serait aujourd’hui sans leader au sens pratique du terme. Roch Marc Christian Kaboré "se chercherait" ; Simon Compaoré (également), qui a fort à faire à la mairie, où plusieurs dossiers brûlants l’occupent et dans un contexte où il semble qu’il ne soit pas au top de sa forme physique, ne serait d’aucune utilité pour le n°1 du CDP ;

 la formalisation d’une contestation interne, incarnée par les ex-CNPPistes (essentiellement). Avec cette action, qui intervient à un moment où Salif Diallo ne soit plus que le n°2 du parti (puisqu’il n’est plus également le n°2 du gouvernement), où les contestataires accusent Roch Marc Christian Kaboré de mollesse et de sectarisme, une preuve est encore fournie que le CDP va à la dérive ;

 aphone et atone, il l’aurait été en cette période de recherche de solutions à la cherté de la vie. Certes, à l’Assemblée nationale, où il est majoritaire, une commission a été mise sur pied à cet effet ; toutefois, le parti, en tant qu’entité distincte, n’est pas monté au créneau sur la question ; ou pas suffisamment en tout cas.

Une interprétation des faits qu’ils faut relativiser

De ces quatre éléments cités la conclusion qu’on tire logiquement est que le CDP est au mieux dans une zone de turbulences et au pire en train de chavirer.

Cependant, s’il est indéniable que ce parti est à la recherche de ses repères (comme du reste tout parti à tout instant de son existence), il n’est pas faux de penser que l’ampleur des turbulences est grossie soit par ignorance, soit par méconnaissance de la situation au sein de ce parti.

Pas que nous soyons au courant, dans les moindres détails, de ce qui se trame dans le système Compaoré. Nous le disons, car d’autres faits, par eux-mêmes, incitent à avoir le sens d’une plus grande mesure :

 affirmer que le départ de Salif Diallo du gouvernement a affaibli le parti est sans doute vrai à bien des égards. Toutefois, peut-être faut-il rappeler que les coups de boutoir de ce dernier contre certains éléments du système et de l’opposition ne se faisaient sans doute pas à l’insu de Blaise Compaoré et de Roch Marc Christian Kaboré. En outre, même s’il n’a plus le grappin de l’Agriculture, il reste le n°2 du CDP.

Un tenor du parti dirigeant qui ne préside pas aux destinées d’un ministère ou d’une institution est lourdement handicapé, mais attendons tout de même de voir. Enfin, le Salif à forte personnalité, que l’on présente, ne s’est en fait révélé qu’après la crise consécutive à l’affaire Norbert Zongo.

Avant lui, un Simon Compaoré, avec moins de finesse soit, était l’homme le plus craint du système en tant que tout-puissant secrétaire général du CDP et Bongnessan Arsène Yé, président (qui n’inaugurait que les chrysanthèmes) ;

 s’agissant de la mollesse supposée du président du CDP, il peut paraître sans doute débonnaire, bon viveur à l’occasion, proche de ses réseaux d’amis, mais ne faut-il pas rappeler que dans la crise Norbert Zongo, c’est le type de dirigeant du CDP dont le parti et le pays avaient besoin ?

Face à la fonction honorifique de Bongnessan Arsène Yé et aux sorties fracassantes et contre-productives de Simon Compaoré, un dirigeant comme Roch, le "Ganzirbila" (ressortissant du Ganzourgou), rassurait et évitait au pays de s’enflammer ou d’aller à vau-l’eau.

On est donc tenté de conclure que si indolence il y a de la part de Roch Marc Christian Kaboré, cela a toujours été le cas et que ce n’est nullement le limogeage de Salif Diallo qui l’a rendu subitement asthénique ;

 quant au coup de colère des ex-CNPPistes et autres, c’est politiquement et humainement compréhensible voire défendable. Ont-ils réagi de la sorte parce que Salif Diallo n’est plus aussi fort qu’hier ? Si c’est le cas, c’est tant mieux, car cela revient à dire qu’ils étaient étouffés. Ont-ils eu ce courage parce que le CDP irait à vau-l’eau ? Si oui, c’est aussi tant mieux, car leur réaction pourrait contribuer à redresser la barre.

Seulement, n’oublions pas que ces ex-CNPPistes ont au moins le mérite d’avoir toujours eu le courage de leurs opinions : rappelons-nous leur participation aux travaux de la commission constitutionnelle et aux manifestations de la Coordination des forces démocratiques ; n’oublions pas leurs conditions à la veille de la création du CDP ; souvenons-nous de ce qu’ils ont dit lors de la confection des listes CDP aux dernières législatives.

Pour nous, c’est une constante dans leur comportement et c’est tant mieux pour la démocratie interne au CDP et pour la démocratie au Burkina Faso.

Et si le CDP gagnait en civilité et en maturité ?

Dans ce concert d’arguments qui fait du CDP un navire ayant perdu son gouvernail, le bon sens commande qu’on se permette de voir les choses autrement.

Contrairement à une idée largement répandue, ce parti n’a pas (encore ?) perdu ses repères. Il semble plutôt aller vers la maturité. En effet, même si d’aucuns ont reproché au parti de Roch d’avoir envoyé une lettre reconnaissant les mérites de Salif Diallo après son limogeage, il est à relever, selon des sources proches du CDP, que c’est une pratique courante à l’endroit de tout militant qui quitte une fonction ou qui est appelé à d’autres fonctions.

Le cas de Salif Diallo ne serait qu’un exemple parmi tant d’autres. Si cela est avéré, il n’y a pas de raison que des militants "lambda" fassent l’objet d’égards et de reconnaissance de la part des dirigeants du CDP et qu’il en soit autrement pour Salif Diallo.

Autre aspect de ce que certains qualifient de civilisation du CDP, c’est la réponse de Roch Marc Christian Kaboré aux ex-CNPPistes : pour certains militants de ce parti, ce ne sont pas le courage, la rigueur et la poigne qui ont manqué à celui-ci, mais ce serait par souci de dépassionner les débats et d’attester que le sectarisme dont il est question n’est nullement de mise.

Ce sont là des explications qui peuvent se révéler erronées, mais en apparence, elles ne manquent pas de pertinence, vu que ce qui est le plus reproché aux révolutionnaires reconvertis en démocrates libéraux, c’est moins leur modération et leur tempérance que leurs réflexes et leurs tentations maladifs d’étouffer et de réprimer tous ceux qui pensent autrement qu’eux.

Si fait que, dans le cas de la direction du CDP, même s’il ne faut pas nier des problèmes managériaux, il n’est pas certain que ce soit des difficultés d’ordre stratégique et structurel. Or, dans le doute, il vaut mieux éviter les affirmations, à la limite, péremptoires. En tout cas, c’est notre avis, même si nous nous exposons à l’erreur.

Z. K.

L’Observateur Paalga du 14 mai 2008





14/05/2008
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