Simone aussi ! (Crise ivoirienne)

Crise ivoirienne

Simone aussi !…

 

Mine de rien, les vieux démons peuvent allègrement opérer un triste et triomphant retour sur les berges de la lagune Ebrié. On est très enclin à le penser quand on analyse les récentes déclarations de Simone Gbagbo, l’épouse du président ivoirien, sur l’opération de désarmement des ex-combattants des Forces nouvelles (FN), entamée le vendredi 02 mai 2008.

Dès le lendemain en effet, lors d’un meeting à Yamoussoukro, la Première Dame s’est lancée dans un véritable réquisitoire contre les FN, qu’elle accuse de faire perdurer la crise ivoirienne en faisant traîner l’opération de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) des ex-insurgés du 19 septembre 2002. Dans un style qu’on lui connaît, Simone Gbagbo a rué dans les brancards en déclarant que : «La crise est en train de finir. Il ne reste plus que le désarmement (...), mais ils (les ex-rebelles) nous disent qu'il faut cinq mois. C'est trop! En un mois, ils peuvent se regrouper, même s'ils sont 50 000. Si on doit attendre cinq mois, comment pourrons-nous organiser l'élection le 30 novembre ? Il faut que cette élection ait lieu en 2008 et non en 2010. Il y en a  qui ont des intérêts dans cette crise. Ce sont eux qui veulent la voir perdurer. La Côte d'Ivoire ne peut pas se permettre le luxe d'avoir encore sur son sol, alors que la rébellion a récupéré la primature, des rebelles en armes. Ce n'est pas normal». Puis, s’inscrivant logiquement dans le sillage de son célèbre mari, elle a décoché des flèches aux forces étrangères déployées en Côte d’Ivoire tout en réservant bien sûr les plus empoisonnées à la France : «La bataille se joue sur plusieurs fronts. En même temps qu'il faut le désarmement, il faut que les Blancs qui ont leur armée chez nous ici partent». S’insurgeant contre ce qu’elle appelle le néocolonialisme, elle a déclaré que «la Côte d’Ivoire ne peut pas demeurer l’esclave de la France. Cette guerre est une guerre de libération».

Dans une lettre adressée au Front populaire ivoirien (FPI), les camarades de Guillaume Soro ont demandé une «rencontre de clarification» tout en précisant que les propos de Simone sont des «attaques inacceptables qui pourraient provoquer des conséquences imprévisibles sur le processus de paix en Côte d'Ivoire».

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est un véritable pavé que Mme Gbagbo vient de lancer dans la mare du processus de paix. Elle aurait voulu saborder l’Accord politique de Ouaga qu’elle ne s'y serait pas prise autrement. Ce faisant, elle s’évertue à travailler comme un singe pour saper tout ce qui a pu être construit depuis le 4 mars 2007. Une opération de saccage donc du potager de l’Accord politique de Ouaga.

Une sortie inopportune, qui doit retenir l’attention de la communauté internationale et surtout celle du Facilitateur, Blaise Compaoré. Première Dame et, de surcroît, député et membre influent du FPI, Simone Ehivet Gbagbo, on l'imagine bien, n’a pas parlé, comme on le dit, au hasard. Elle ne doit pas être seule à penser ce qu’elle a dit. Sans doute qu’elle est le porte-parole d’un clan de son parti, celui des radicaux. Et  si ça se trouve, elle n’a été que la bouche de son président de mari.

On sait, en effet, qu’avec l’application, en cours, de l’Accord politique de Ouaga, Laurent Koudou Gbagbo est un peu coincé, car il ne peut plus tenir des propos belliqueux, susceptibles de faire voler l’Accord en éclats. Il risquerait de se faire taper sur les doigts. Alors, il lui est plus confortable de se cacher derrière sa femme et de parler à travers elle.

On peut aussi analyser ces propos de la Première Dame comme étant un signe de détresse et une stratégie de conservation du pouvoir par le clan Gbagbo. En effet, ça pourrait participer d’une tactique globale visant à pourrir la situation et à rendre impossible l’organisation des différentes consultations électorales. Si un tel schéma - qui peut s'expliquer par le fait que le clan présidentiel a connaissance de mauvais sondages - se concrétisait, le parti au pouvoir se verrait accorder un autre bail sans qu'il ait à se soumettre à l’épreuve,  incertaine, des urnes pour continuer à mener le bateau battant pavillon Côte d’Ivoire. En effet, il serait plus facile alors de prolonger le mandat de Gbagbo.

Ce qui est certain, c’est que ces déclarations de la moitié du président sont plus que troublantes à un moment où tout le monde avait une confiance sans borne au processus de paix, qui, comme un long fleuve tranquille, suivait son cours normal. De tels propos virulents nous ramènent en arrière au temps où entre les FN et le FPI, seule l’escalade verbale avait pignon sur rue. On est d’autant plus étonné par cette sortie de la Première Dame qu'elle avait jusque-là observé un profil bas depuis l’Accord politique de Ouaga, tout comme d’autres «grandes gueules» à l’image de Blé Goudé, de Mamadou Coulibaly, et de Désiré Tagro.

Espérons que ce discours de Yamoussoukro n’est qu’un malheureux dérapage, et que les vieux démons se tiendront loin du pays d’Houphouët. Car, si on devrait retomber au temps fort de la crise ivoirienne, c’est clair, on ne verrait pas de sitôt le bout du tunnel.

 

San Evariste Barro

L’Observateur Paalga du 8 mai 2008



09/05/2008
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