Vie chère au Burkina Faso : Le Premier ministre n’en est pas responsable

 
Jonas Hien, qu’on ne présente plus, aurait sans doute créer l’événement si jamais il ne faisait pas cracher sa plume après les multiples manifestations contre la vie chère au Pays des hommes intègres. Pour lui, au lieu d’accuser Tertius Zongo, le Premier ministre, des maux actuels du Faso, il faudrait plutôt l’encourager à réussir le pari de la bonne gouvernance.

Il n’est un secret pour personne. Au Burkina Faso, la gouvernance n’est pas bonne : l’impunité s’est installée ; la corruption est décriée ; l’injustice, criarde et le désordre, total. En somme, la population ne se reconnaît pas à son Etat.

Depuis la fin de la Révolution avec la disparition tragique du Président Thomas Sankara, les Burkinabè n’ont plus de repère en matière de la moralisation de la chose publique. Pour y remédier, une politique nationale de bonne gouvernance a été élaborée et adoptée par le gouvernement. Un secrétariat permanent est mis en place pour coordonner la mise en œuvre des plans d’actions y afférents.

Ledit secrétariat comprend des femmes et des hommes soucieux de réussir leur mission. Mais quel que soit leur dévouement et leur engagement, ils ne peuvent réussir sans une prise de conscience de chaque Burkinabè d’œuvrer, chacun dans son domaine d’action, à atteindre les attentes de la bonne gouvernance voulue par tous.

Mais l’atteinte de la bonne gouvernance dépend en grande partie du gouvernement à travers un bon exemple. Un bon exemple venant d’un gouvernement met le peuple en confiance et favorise une paix sociale durable.

Le Burkina Faso, une boutique privée ?

Or, depuis 20 ans, le régime du Président Blaise Compaoré travaille comme s’il n’a de compte à rendre à personne, comme s’il ne représente personne. Il a pris le Burkina Faso comme une boutique privée. Conséquences : au vu et au su de tous, de nouveaux riches surgissent du néant, des intouchables sont nombreux, la paupérisation est générale au sein de ceux considérés comme des sous-citoyens. Depuis 20 ans, les Burkinabè cumulent rancœur sur rancœur. La population reproche beaucoup de choses au pouvoir de Blaise Compaoré.

Les Burkinabè ne sont pas du tout contents de la manière dont le pays est géré. Ils sont frustrés des déguerpissements au profit de la belle mère nationale. Ils n’admettent pas le développement déséquilibré du pays. Les jeunes n’ont plus rien à attendre d’un régime de magouille. Dans tous les corps socioprofessionnels (sans exception), c’est la grogne.

En matière de commerce, seuls les faibles, c’est-à-dire les petits commerçants sont poursuivis et rattrapés chaque jour par les impôts et la Douane. Les ‘’grands’’, ceux qui font de grosses affaires avec leurs parrains au pouvoir, mènent une vie ostentatoire au nez et à la barbe du peuple. Ils rêvent de cette vie d’opulence tout le reste de leur existence sur terre.

Vint alors Tertius

C’est dans un tel contexte qu’est arrivé le premier ministre Tertius Zongo à la tête du gouvernement burkinabè. Le gourounsi aux cheveux blancs (ou grisonnants, c’est selon) est arrivé avec une bonne foi. On a senti en lui la volonté de mettre de l’ordre. Il n’a pas un langage de premier ministre. Il a le courage d’aborder sans détour les problèmes du pays. Il est conscient que les Burkinabè ne sont pas contents de la gouvernance. Il dit des choses qui cadrent avec les préoccupations des Burkinabè faibles.

Il a déjà engagé des actions fort salutaires. Si la plupart des Burkinabè attendaient beaucoup de lui, au regard des mesures annoncées dès son arrivée, nombreux étaient également ceux qui estimaient que le premier ministre n’a pas de chance de réussir sa mission. Leurs arguments se fondent sur le fait que la pourriture est très profonde, les intérêts énormes et les ramifications inextricables.

L’évolution des choses semble donner raison à cette dernière vision et on découvre que certains Burkinabè ne sont pas prêts à sortir du désordre. Les récentes flambées des prix et la remise en cause de la paix sociale (qui était d’ailleurs relative) qui gagne de plus en plus tout le pays ont donné l’occasion de délier les langues.

Dans certains milieux d’affaires, on traite le Premier ministre de tous les noms. On lui reproche son action de lutter contre la fraude et la corruption. La fraude et la corruption permettaient des arrangements, donc de gros bénéfices. Et la fin des arrangements ne saurait faire perdre les gros bénéfices auxquels on est habitué.

Selon certaines langues, les Douaniers bouderaient énormément le premier ministre burkinabè pour ses actions révolutionnaires qui n’arrangent pas les choses dans un pays de business. Dans ce milieu, on dit qu’il ferait mieux de se tenir tranquille au risque de voir sortir lui aussi son ‘’dossier’’, car il n’est pas aussi propre comme il veut le faire croire.

On dit qu’à un moment donné, il a été parrain de fraudeurs. On donne même l’exemple d’un de ses petits frères qui serait opérateur économique et qui faisait lui aussi le malin en douane pour faire passer ses marchandises. On cite encore comme exemple la récente affaire sur le Directeur général des Douanes où il aurait encouragé l’impunité. Et ce n’est pas tout. Certains commis de l’Etat n’apprécient pas bien monsieur Tertius Zongo.

Ceux-ci disent que depuis son arrivée, on ne peut plus passer des week-end en provinces ou de provinces à Ouagadougou, en véhicule de l’Etat, fond rouge et en bonne compagnie. Même à Ziniaré, la ville présidentielle, il est critiqué sur ce point. Ce n’est toujours pas tout. Le premier ministre du Burkina Faso énerve des gérants de maquis. Leur problème serait que depuis que cet homme est là, les enfants des ministres ne lavent plus les mains avec du champagne avant de prélever des brochettes sur des plateaux à la hauteur de leur rang.

En somme, le premier ministre du Burkina Faso dérange, il gâte les affaires. Conséquence, le pays lui-même est en train de se gâter. En effet, à écouter certains Burkinabè, ces derniers temps, on se demande ce qui arrive au pays.

On veut que les choses restent en l’état, c’est-à-dire continuer à investir dans la bonne gouvernance avec l’espoir de ne jamais atteindre de résultats. Mais pour le ‘’bas peuple’’, le Premier ministre est sur la bonne voie.

C’est pourquoi le débat sur la vie chère doit être bien cadré afin d’éviter de charger le Premier ministre de toute la responsabilité, ce qui reviendrait à disculper tous les autres dignitaires du régime qui ont œuvré à installer l’évasion fiscale dans le pays. Le Premier ministre ne saurait donc être tenu pour seul responsable comme c’est la tendance au sein de l’opinion. Pour ma part, le Premier ministre n’est pas responsable. En effet, pour mieux comprendre l’origine de la vie chère au Burkina Faso.

Suivons les schémas suivants

Wend Kuuni est un opérateur économique ; un grossiste importateur–exportateur. C’est chez lui que les petits commerçants achètent les marchandises pour les revendre aux consommateurs. Wend Kuuni a un ami qui est au pouvoir et cet ami fait partie des ‘’hommes forts’’ de Blaise Compaoré. Quand les marchandises de Wend Kuuni arrivent à la Douane dans des conteneurs ou dans des camions. Les douaniers ne sont pas autorisés à ouvrir pour en connaître le contenu.

C’est Wend Kuuni qui dit aux douaniers ce qu’il a comme marchandises. Il leur offre de quoi payer la cola et il circule avec ses marchandises. Wend Kuuni ne paie donc pas les frais de dédouanement comme il se doit. Il a le même comportement vis-à-vis des impôts. Ainsi, Wend Kuuni cumule richesses sur richesses. C’est Dieu qui lui a donné. Il ne mange pas n’importe quoi et c’est en Europe qu’il passe sa recréation.

Voilà donc Wend Kuuni mécontent

Quand le Premier ministre Tertius Zongo est arrivé, il a dit que désormais, Wend Kuuni payera la Douane et les impôts conformément à la loi, comme tous les autres commerçants. Et voilà. Wend Kuuni n’est pas content. Il ne peut plus faire de gros bénéfices. Wend Kuuni n’entend pas perdre ses avantages. Il veut continuer à passer ses congés en Europe et soigner ses rhumes en Amérique. Alors, Wend Kuuni accepte de payer la douane et les impôts. Il n’a d’ailleurs pas le choix.

Le nouveau premier ministre a parlé. Et voilà ce que Wend Kuuni fait pour exprimer son mécontentement face à la décision du Premier ministre Tertius Zongo. Le sac de riz qu’il vendait aux petits commerçants à 12 000 F, il décide de le vendre à 20 000 F (c’est un exemple). Alors, le petit commerçant, au lieu de le revendre à 12 500 F comme avant, le consommateur l’achètera désormais à 22 500 F.

Chacun a besoin de beaucoup d’argent dans ce pays pour faire lui aussi son malin. Vous voyez bien que la vie est effectivement chère. Mais, à qui la faute ?

Blaise Compaoré est arrivé au pouvoir de la manière dont on sait. Pendant longtemps, son régime a été boudé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

L’impopularité de son régime est sans contexte. Il lui fallait recruter des hommes par tous les moyens. Ainsi, n’importe quel va-nu-pieds qui criait à péter pour jouer à la démagogie pour soutenir Blaise Compaoré bénéficiait de toutes les largesses du pouvoir. Et comme il fallait en profiter au maximum, il y a eu des Wend Kuuni partout, chacun avec son parrain au pouvoir. On voit dans la rue des opérateurs économiques marcher n’importe comment pour soutenir n’importe quoi.

Ce n’est pas parce qu’ils aiment Blaise. Ils ne veulent pas payer les impôts et la douane. Leurs impôts et douane, c’est quelques miettes pour soutenir des campagnes politiques. Il suffit d’être du cercle de la famille présidentielle (au sens large) et on fait du Burkina Faso ce qu’on veut.

Pendant près de 20 ans, l’Etat burkinabè a perdu beaucoup d’argent au profit de groupuscules de gens aussi bien du monde des affaires que du pouvoir. Le peuple peut continuer à souffrir et se remettre au Bon Dieu. Pendant ce temps aussi, les plates-formes des syndicats sont restées en l’état.

Et pourtant, il faut bien une augmentation de salaire de façon significative, car chaque Burkinabè aurait aimé aussi aller guérir ses maux de tête en Amérique. Or l’augmentation de salaires n’est pas une mince affaire pour un Etat. Il faut être sûr de tenir tout le reste du temps. Encore, les rumeurs qui nous parviennent depuis un certain temps font état d’une gymnastique terrible chaque mois pour assurer les salaires des travailleurs.

S’il venait à manquer un seul mois de salaire

L’évasion fiscale et l’enrichissement illicite que l’on peut nommer individuellement dans ce pays, en sont la cause. Dans cette lancée, la chute du régime n’est pas loin, s’il manquait le rendez-vous d’un seul mois de salaire. Ces gens aiment tellement le pouvoir que pour leur survie ils ne sauraient s’amuser. Et pour Blaise Compaoré, les gens ont assez mangé à cause de son laisser-faire.

Et à l’allure où vont les choses, c’est lui-même qui risque d’être mangé par les vraies gens. Et le Premier ministre étant chargé de mettre en œuvre les instructions du Chef de l’Etat, et l’heure étant grave sur les salaires, il fallait engager une lutte sans merci contre l’évasion fiscale. Blaise Compaoré aime les opérateurs économiques.

Mais il aime plus son fauteuil. Cette lutte est à saluer. Le Premier ministre doit aller de l’avant et aboutir à un redressement fiscal. S’il échoue, le pays tombera dans un état de putréfaction totale. Certes, un redressement fiscal fera grincer sérieusement des dents chez certains opérateurs économiques tout comme depuis 20 ans les travailleurs et le peuple ont sérieusement serré les dents pour survivre.

Nous osons croire que cette lutte est une étape capitale pour parvenir à une augmentation significative des salaires qu’attendent les travailleurs. C’est pourquoi l’action du Premier ministre doit être soutenue en même temps qu’il faut le tenir à l’œil. Mais en attendant de renflouer les caisses de l’Etat, le gouvernement devra comprendre que le consommateur pauvre n’est pas prêt à subir les conséquences d’une gestion ploutocratique du pays.

Le régime doit se débrouiller avec ses opérateurs économiques, toutes celles et tous ceux à qui il a habitué à une vie d’aisance, pour ramener le coût de la vie à son ancienne, proportion qui n’était pas d’ailleurs reluisante. Le régime sait comment il a habitué des gens au vol de l’Etat. Il lui appartient d’utiliser les méthodes adéquates pour mettre fin à la provocation du peuple face à cette vie insupportable.

Encourager Tertius à foncer

S’agissant des récriminations à l’endroit du Premier ministre, à supposer qu’il a fait partie de ceux qui ont favorisé la vie facile de certains Burkinabè, maintenant qu’il se rend compte qu’il faut corriger le tord causé à l’Etat, et par conséquent au peuple, il faut l’encourager à foncer.

Si depuis longtemps, des gens avaient reconnu leurs erreurs et décidé de revenir sur de bons chemins, on n’aurait pas encore dans ce pays des comportements de mauvais CDR irrépentis. Le Premier ministre a engagé des mesures qui s’appliquent à tous les opérateurs économiques.

Son petit frère dont on fait cas ne saurait se soustraire de ces mesures. Il ne saurait être un supercitoyen. Et comme le milieu se connaît et que les Burkinabè ne se laissent plus faire, une exception de magouille en faveur de son petit frère saura être reversée sur la voie publique et le peuple avisera.

Nous devons donc prendre conscience que si rien n’est fait de façon sérieuse pour ramener le peuple sur le même pied d’égalité comme l’a fait le Conseil national de la Révolution, par des luttes énergiques contre les fléaux qui sont en train de compromettre l’avenir du pays, comme la fraude et la corruption, on passera le temps à condamner les actes de vandalisme, mais le peuple affamé n’entendra pas raison.

Si les agents de renseignements sont fidèles dans leurs rapports, le Président du Faso devrait savoir, qu’à l’étape actuelle, le peuple n’attend plus rien de lui. Quand le gouvernement dit que la vie chère n’est pas le seul motif des actes de vandalismes, ce n’est pas totalement faux.

Il y en a qui ont participé aux actes de vandalisme parce qu’ils ne veulent plus rien entendre de ce régime. Le régime a semé la pourriture, ça a produit la pourriture ; il faut qu’il accepte de manger la pourriture. Il ne serait donc pas juste d’accuser le seul Premier ministre de la situation actuelle. Blaise Compaoré n’a qu’à assumer. En attendant, le peuple est pressé de voir la fin de la vie chère Comme dirait le chanteur : « Monsieur le Président, la république est en train de tomber sur votre tête. »

Jonas Hien

L’Observateur



06/03/2008
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