Aimé Césaire : En attendant le Panthéon
Aimé Césaire
En attendant le Panthéon
Décédé nonagénaire le 17 avril dernier, le poète et homme politique français Aimé Césaire a rejoint définitivement ses ancêtres à Fort-de-France, dont il fut le maire pendant un demi-siècle. Vu l'immensité et la profondeur de son héritage littéraire, de nombreuses voix se sont d'ores et déjà élevées pour réclamer qu'il entre au Panthéon d'illustres devanciers dans le domaine des lettres tels Voltaire, Rousseau et récemment Damas. En attendant cette ultime consécration, le dernier poète de
Que représente pour vous Aimé Césaire ?
• Césaire est un homme multiple. Je me souviendrai encore de lui comme étant un des premiers à avoir montré que la littérature n'est pas simplement une affaire de peau, une histoire d'Occidental et que l'on pouvait être noir et faire de la bonne littérature écrite, des poèmes et de bons poèmes.
Nous l'avons découvert au cours de notre cursus scolaire et universitaire. Il est vrai que ses écrits n'étaient pas de toute évidence tant la langue et le style n'étaient pas à la portée du premier venu. Mais au fur et à mesure de nos études, nous avons appris à mieux le connaître et à mieux pénétrer ses écrits. En outre, c'était un homme politique, un intellectuel engagé qui n'a jamais reculé devant le combat pour les causes justes, la défense des minorités et des opprimés. Il faut garder de Césaire l'image d'un homme qui n'a jamais accepté les compromissions qui vont à l'encontre de ses propres choix aussi bien idéologiques, politiques que religieux. C'est une source d'inspiration pour tous les peuples en quête de dignité et de reconnaissance.
Alors, brièvement, pouvez-vous nous parler de ses œuvres littéraires ?
• On le connaît surtout par son écriture poétique, mais il n'est pas que poète, il est aussi essayiste et dramaturge. Si je m'en tiens à ses écrits poétiques, le plus célèbre est "Cahier d'un retour au pays natal". Il l'a écrit après ses études à Paris, où il a fréquenté les mêmes lycées que Léopold Sédar Senghor. Après sa licence, il est rentré en Martinique et a découvert une île complètement squelettique, exsangue. Cela l'a choqué et lui a inspiré "Cahier d'un retour au pays natal".
Le langage en est violent, dur, à la hauteur de sa déception. On lui doit aussi "Les armes miraculeuses" ; "Les chiens se taisaient" ; "Soleil cou coupé" ; "Corps perdus" ; "Cadastre".
En ce qui concerne les essais, ce qu'on retiendra le plus, c'est "Discours sur le colonialisme", où il passe ce système au vitriol pour montrer en quoi cela est une aberration, une négation de la dignité humaine. Il a également écrit des pièces de théâtre et celle que j'apprécie le plus, c'est la "Tragédie du Roi Christophe", où il retrace le combat du roi du même nom pour faire du peuple haïtien un peuple libre, souverain et digne. Combat tragique, puisque le héros qui voulait aller très vite en fut incompris. A l'opposé de ce que conseillait De Gaulle, qui pensait qu'il faut "savoir attendre d'avoir raison", le Roi Christophe n'avait pas le temps d'attendre : il avait raison et voulait que tout le monde le sache tout de suite et maintenant.
On peut retenir enfin "Une saison au Congo" et "Une tempête", qui sont des œuvres dramatiques de grande intensité. Tout cela passe au vitriol, bien entendu, les perversités de la politique coloniale française.
Quelle est l'œuvre qui vous a le plus marqué ? Et pourquoi ?
• C'est surtout le "Cahier d'un retour au pays natal". Cela, pour des raisons personnelles parce que la rencontre avec une œuvre est toujours la rencontre avec soi. Et quand j'ai lu le "Cahier d'un retour au pays natal", je me suis retrouvé, moi, en train de retrouver mon pays natal. Lorsqu'on est issu de l'immigration (NDLR : Albert Ouédraogo est né en Côte d'Ivoire et est président du Tocsin), de la diaspora, c'est toujours quelque chose que de revenir chez soi, même si le chez-soi était quelque chose de mythique, d'imaginé. Ce retour me parle.
C'est comme une expérience vécue par procuration. De ce point de vue, j'ai été très sensible à cette œuvre.
Qu'est-ce qui fait la spécificité de Césaire par rapport à Senghor et à Gontran Damas ?
• Vous venez de citer les trois chantres de
Pour Senghor,
Pour lui,
S'agissant de Césaire, sa Négritude est entre la violence de Damas et celle de l'ouverture prônée par Senghor.
Dans
Au regard de tout cela, Césaire a travaillé à faire en sorte que l'Antillais puisse être fier de ce qu'il est. Mais ce qu'il est est le produit du métissage. Il ne peut pas renier le Blanc qui est en lui.
Il lui faut faire un savant mélange. C'est ce qui lui a valu des critiques de la génération des écrivains qui ont émergé par la suite et qui vont s'opposer un peu à sa Négritude, qui tendait à rapprocher les Antillais de leur souche noire. Avec les Edouard Glissant, il faut assumer sa créolité, son insularité, et non se mettre en quête d'une identité perdue.
La question de la paternité du mot Négritude a fait l'objet de débat. A qui peut-on l'attribuer ? Senghor, Césaire ou Damas ?
• On débat effectivement sur le sujet, mais c'est un débat des thuriféraires de chacun des aspects de
Entretien réalisé par
Adama Ouédraogo Damiss
L’Observateur Paalga du 20 avril 2008