B. Luc Adolphe Tiao, président du Conseil supérieur de la communication : « Qu’on ne vienne pas au journalisme comme on va en balade... »
B. Luc Adolphe Tiao, président du Conseil supérieur de la communication : « Qu’on ne vienne pas au journalisme comme on va en balade... »
- B. Luc Adolphe Tiao
L’état des lieux de la presse burkinabè de nos jours, la portée des prix Galian, la convention collective des journalistes, la dépénalisation des délits de presse au Burkina Faso... Le président du Conseil supérieur de la communication (CSC), Beyon Luc Adolphe Tiao, parrain de la XIe édition des prix Galian, s’exprime sans détour sur ces questions dans cet entretien.
Au moment où il est en partance pour Paris où il représentera le Burkina Faso, il fait une analyse du monde de la communication de son pays et pense qu’il appartient avant tout, aux journalistes de protéger leur corporation et d’amener les autres à leur faire confiance.
Sidwaya (S) : Que retenez-vous des prix Galian après une décennie d’existence ?
Beyon Luc Adolphe Tiao (B.L.A.T) : Je voudrais avant toute chose, rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont œuvré à la concrétisation de cette idée qui est devenue au fil des années, un rendez-vous pour célébrer l’excellence. En effet, les prix Galian constituent un événement majeur pour les travailleurs des secteurs de l’information et de la communication. Aujourd’hui comme à la première édition, l’objectif de cette manifestation reste inchangé à savoir, stimuler le professionnalisme et la quête permanente de l’excellence. Après une décennie d’existence, on peut se satisfaire de l’organisation sans interruption de l’événement, même si l’on peut s’accorder à reconnaître que toute œuvre humaine est perfectible.
S. : Pensez-vous que ces prix ont apporté une amélioration dans la production des articles de presse au Burkina Faso ?
B.L.A.T : Les Galian ont permis d’une part, de découvrir de grands talents en matière d’écriture journalistique, de production et de réalisation d’émissions de qualité. D’autre part, ces prix ont constitué une sorte de catalyseur pour non seulement les lauréats qui ont compris qu’ils n’ont pas le droit de baisser la garde mais également pour les autres qui veulent prouver qu’ils ont aussi des talents. L’un dans l’autre, c’est la production nationale qui gagne en qualité.
S. : D’aucuns critiquent la façon dont le choix des meilleures productions est fait et préfèrent qu’on suive les journalistes tout au long de l’année. Quelle est la formule que vous préconisez ?
B.L.A.T : Cette question avait été longuement discutée au niveau du ministère en charge de la Communication, il y a quelques années. L’idéal serait en effet, de suivre les journalistes et les médias tout au long de l’année afin de distinguer les meilleurs. Mais, comme vous le savez, cette démarche nécessite la mobilisation de beaucoup de ressources humaines, matérielles et financières. Or, les moyens sont très limités. Vous observez du reste que dans certains pays, les lauréats des manifestations similaires gagnent des villas, des voitures… Je crois que si le ministre de tutelle pouvait faire la même chose, il le ferait. Il faut, je pense, avoir des ambitions mais surtout en être à la hauteur. Cela dit, c’est au fil des éditions qu’il faut développer des initiatives afin de donner un cachet plus grand à l’événement, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays comme la Côte d’Ivoire pour ne citer que ce pays. Dans ce sens, on pourrait réfléchir sur la manière de parvenir à décerner un prix du meilleur journaliste burkinabè de l’année. Enfin, il serait bon de trouver une formule pour distinguer parmi les anciens qui sont encore sur le terrain, celui qui se serait investi soit dans la production, soit dans la formation des journalistes.
S. : Au moment où vous êtes en partance pour la France en tant qu’Ambassadeur, quel bilan dressez-vous du travail de la presse burkinabè ?
B.L.A.T : D’une manière générale, la presse burkinabè fait preuve de responsabilité et de professionnalisme dans le traitement de l’information. Depuis quelques années, on note une évolution positive de la qualité des hommes et des femmes des médias et du nombre des organes de presse. J’ai passé sept ans à la tête du Conseil supérieur de la communication mais nous n’avons jamais pris la décision de fermer une radio ou une télévision. Il y a certes eu des mises en demeure, des suspensions d’émissions mais nous ne sommes jamais allés au-delà. Ce constat est également observable au niveau de la presse écrite.
Je me réjouis du fait qu’il n’y ait pas de journalistes en prison dans notre pays. C’est le signe que malgré les insuffisances encore constatées çà et là, les journalistes abattent un travail considérable dans l’information, l’éducation et la distraction des populations. En effet, il faut le souligner, le Conseil a relevé à maintes occasions, un certain nombre de dérives relatives au non respect des principes d’éthique et de déontologie. L’on a également constaté beaucoup d’amateurisme dans certains médias. En outre, l’accès équitable aux médias publics demeure toujours une préoccupation pour nous. Le service public doit s’exercer au profit de toutes les couches socioprofessionnelles du pays. Une autre préoccupation est pour nous, la nécessité de relire les textes relatifs au CSC afin de lui conférer davantage de prérogatives. Pour ce faire, sa constitutionnalisation à l’instar de certaines instances de la sous-région s’impose. Il faut enfin, souligner la nécessité d’une relecture des dispositions réglementaires et juridiques en matière de presse au Burkina Faso, notamment le code de l’information.
S. : Que retenez-vous de vos tournées dans les régions du Burkina Faso pour constater les conditions de travail des organes de presse ?
B.L.A.T : J’ai effectivement initié depuis le 7 avril 2008, une tournée dans les médias aussi bien à Ouagadougou qu’à l’intérieur du pays. L’objectif de ces tournées est de toucher du doigt les réalités mouvantes du paysage médiatique national, de prendre davantage en compte les préoccupations des journalistes et de témoigner la reconnaissance de l’institution aux médias dont l’accompagnement a permis d’améliorer au quotidien son travail. Tout au long de ces sorties, nous avons rencontré des journalistes et animateurs des médias déterminés dans leurs missions d’information, d’éducation, de distraction et d’accompagnement des initiatives de développement. Les radios associatives et communautaires ont, d’une manière générale, consenti des efforts dans le cadre de leurs équipements. Nous avons pu mesurer les difficultés que rencontrent particulièrement nombre de radios commerciales en matière d’investissements en infrastructures, en matériels et en management. Nous les avons exhortés à s’investir davantage pour une gestion professionnelle de ces médias.
S. : Vous aviez semblé être dépité des conditions techniques de certaines radios locales dans les régions de l’Ouest. Qu’avez-vous envisagé pour y mettre de l’ordre ?
B.L.A.T : Si dans nombre de médias notamment audiovisuels, nous avons été satisfaits des équipements et du niveau des animateurs, nous avons par contre, été déçus des conditions techniques, matérielles et professionnelles de certaines radios locales. Pour des médias qui fonctionnent depuis une dizaine d’années, c’est inacceptable de les voir évoluer comme des bazars de quartier. Nous n’avons pas manqué de le souligner aux responsables de ces organes en attendant que le Conseil prenne les décisions nécessaires en la matière.
S. : N’est-ce pas la conséquence du fait que le CSC octroie les autorisations d’ouverture des radios sans des études approfondies ?
B.L.A.T : Le système d’octroi des autorisations d’exploitation des fréquences a changé. Depuis quelques années, le Conseil a mis en place un autre mécanisme. Un avis d’appel à candidatures est lancé et les postulants déposent un dossier qui est rigoureusement examiné par un comité technique. De nombreux critères sont contenus dans l’avis de sorte que si vous n’avez pas un excellent dossier, vous n’avez pas de chance d’être promoteur de radio ou de télévision. Rassurez-vous, le CSC n’octroie pas de fréquences sans avoir au préalable mené une étude approfondie du dossier du soumissionnaire. Les cas évoqués plus haut ne concernent pratiquement pas les promoteurs de ces quatre dernières années.
S. : A quand la signature de la convention collective, vu que la date butoir de fin avril est révolue ?
B.L.A.T : La convention collective est une grande préoccupation pour nous, mais ce n’est pas une course de vitesse. Comme je l’ai déjà dit, la convention aurait dû être signée mais nous avons adopté une démarche de prudence et de consensus. En effet, certains patrons de presse avaient demandé quelques semaines supplémentaires pour peaufiner le texte. Ce délai leur a été accordé et je crois que les prochaines semaines, la signature officielle se fera. La volonté d’y parvenir est manifeste et il n’y a pas de raison majeure pour que cette étape décisive ne soit pas franchie.
S. : Il semble que vous teniez à tout prix à faire signer la convention collective avant de partir comme ambassadeur en France. Qu’en dites-vous ?
B.L.A.T : Comme je le disais tantôt, la Convention collective tout comme la carte de presse, les cahiers des charges des médias publics sont autant de préoccupations du Conseil. En tant que journaliste de formation, vous mesurez certainement l’intérêt que j’éprouve personnellement pour la résolution de ces questions. Ceci étant, je n’en fais pas une fixation. L’administration étant une continuité, certaines questions qui n’ont pas trouvé de solutions sous mon mandat le seront certainement avec mon successeur.
S. : La dépénalisation des délits de presse n’est pas encore une réalité au Burkina Faso. Est-ce à dire que l’on n’a pas suffisamment confiance aux journalistes burkinabè ou est-ce une volonté de continuer à vouloir les tenir à joug ?
B.L.A.T : C’est vrai, la dépénalisation des délits de presse n’est pas encore une réalité dans notre pays. Ce n’est pas une volonté de tenir à joug les journalistes burkinabè. La dépénalisation des délits de presse ne se fera pas automatiquement comme un cadeau qu’on offre en fin ou en début d’année. C’est un plaidoyer et un combat de longue haleine. Pour ce faire, il faut mener des actions pour convaincre les parlementaires, l’exécutif, le judiciaire et la société civile de la pertinence de la dépénalisation des délits de presse. Par ailleurs, les journalistes doivent faire la preuve qu’on peut leur faire confiance. Si nous luttons pour qu’aucun journaliste ne soit emprisonné pour le simple fait d’émettre ses opinions, il appartient au premier chef, aux hommes et femmes des médias de prouver le contraire à leurs détracteurs, à travers un travail empreint de professionnalisme et de responsabilité sociale élevée.
S. : Comment voyez-vous l’avenir de la presse burkinabè ?
B.L.A.T : J’ai beaucoup voyagé dans le cadre de ma mission au CSC et je puis vous affirmer que la presse burkinabè se porte bien dans son ensemble. Toutefois, beaucoup reste à faire. Il s’agit, entre autres, de la formation continue, de la culture permanente du respect des principes éthiques, déontologiques et de la responsabilité sociale, du respect mutuel et de la confraternité. Nous pouvons avoir des lignes éditoriales différentes, c’est du reste une bonne chose, mais nous ne devons pas nous considérer comme des ennemis.
Cette diversité doit être une richesse pour les hommes et femmes des médias qui ont l’obligation de s’entendre sur l’essentiel et de travailler à valoriser leur « corporation ». C’est pourquoi, ils doivent travailler à soigner leur image et à faire en sorte qu’on ne vienne pas à la profession comme on va en balade en l’espace d’un week-end. Nous avons encore quelques « anciens » qui aident les jeunes avec des conseils avisés et des plus jeunes qui sortent des écoles professionnelles dotés des bagages intellectuels nécessaires. Il leur suffit de savoir adapter leurs connaissances académiques aux réalités professionnelles. Nous avons donc des raisons de penser que l’avenir de la presse burkinabè sera radieux. Mais, il faut également que l’Etat accompagne davantage la presse.
Dans ce sens, le Conseil supérieur de la communication avait fait un certain nombre de recommandations portant, entre autres, sur la nécessité d’alléger les charges fiscales des médias, de créer un fonds de soutien à la production audiovisuelle nationale, d’œuvrer à une répartition équitable de la publicité institutionnelle. Il n’est pas bon de voir des radios fermées pour des mesures fiscales comme cela arrive. Les radios commerciales, surtout celles des provinces, accomplissent également des missions de service public et nous souhaitons que l’Etat puisse trouver des mécanismes d’accompagnement notamment en donnant une suite favorable à nos recommandations.
S. : Entre nous, qui sera votre remplaçant à la tête du CSC : un remplaçant titularisé ou un intérimaire pour achever votre mandat ?
B.L.A.T : Pour vous répondre franchement, et entre nous comme vous le dites, je ne sais pas qui est mon successeur. C’est une question qui relève de la compétence du chef de l’Etat qui juge de la nécessité de placer la personne qu’il faut à la place qu’il faut. Mais, je suis convaincu qu’il n’en sera pas autrement parce que les autorités, mesurant amplement la délicatesse et la noblesse de la mission de régulation de l’information et de la communication, sauront mettre la personne qu’il faut.
Interview réalisée par Ibrahiman SAKANDE (ibra.sak@caramail.com)
et Ali TRAORE (traore_ali2005@yahoo.fr)