Crise au CDP : La face cachée d’une affaire brûlante
Crise au CDP : La face cachée d’une affaire brûlante
vendredi 4 juillet 2008.9 novembre 2006. La Maison du peuple est archicomble. Salves d’applaudissements, tonnerre de slogans, décor savamment orchestré… Le 3è congrès ordinaire du CDP commence dans quelques minutes. Le maître de cérémonie, comme « un laboureur sentant sa mort prochaine », bat des mains et des pieds, distille en grande pompe la propagande du parti et règle, encore une fois, l’horloge psychologique des militants. Ça y est, on peut commencer.Et voici Salif Diallo, premier vice-président du parti et coordonnateur général du congrès, qui prend la parole. « Le CDP, dit-il, est un parti dirigé et discipliné ». Mais très vite, une note amère succède aux éloges. Il y a des « dysfonctionnements », dit-il. Le président du parti, Roch Marc Christian Kaboré est tout à fait d’accord. Et il l’a dit, lui aussi, droit dans les yeux des militants : « Indiscipline caractérisée, non respect des directives du parti et de ses structures, actes anti parti grandissants… ». Mais il n’y a pas que ça. Le 2è vice-président du parti, Oubkiri Marc Yao, a lui aussi, dans un rapport confidentiel, mis le feu aux poudres.
Le congrès a frappé fort. Très fort. Plus de 200 militants ont été exclus du parti. Plusieurs autres ont été sanctionnés par un blâme. La situation était tellement grave que huit mois plus tôt, le 24 mars 2006, Roch Marc Christian Kaboré avait tapé du poing sur la table. Allant même jusqu’à exclure certains militants du parti. L’article 1 de la décision N°2006/009/CDP/CN/BPN/BEN et de bien d’autres est lourd de sens : « Les militantes et militants ci-dessous nommés sont exclus du parti en attendant la décision finale du congrès ». Plusieurs militants du CDP ont ainsi basculé dans un mécontentement total. Les personnes concernées sont accusées d’avoir enfreint les textes fondamentaux du parti. Dans la province du Kadiogo, 9 conseillers municipaux et membres de certains bureaux de section ont ainsi été mis à la touche avant le congrès. Les indésirables étaient plus nombreux dans le Houet. 29 au total.
Trois maires d’arrondissement (Célestin Koussoubé, Souleymane Sanou et Basile Pitroipa), « boutés hors de la maison », ont déposé leurs bagages à l’ADF/RDA. Les autres sont des conseillers municipaux ou des membres de bureaux de section. Des militants d’autres provinces ont également été exclus. Roch a donc donné le ton. Le congrès a prononcé la sentence finale. Certaines têtes couronnées ont ainsi roulé ou failli rouler par terre. En tous cas, la note signée par le président du parti est très salée : « Le camarade Bernard Lédéa Ouédraogo, membre du Bureau politique national, reçoit un blâme pour fait d’indiscipline ». Mamadou Christophe Ouattara et Tasséré Ouédraogo, membres aussi du Bureau politique national, et bien d’autres ont été soumis à la même sentence. Certains n’ont pas cependant eu cette « chance ». Eux ont été purement et simplement exclus du parti.
Mais la spirale des exclusions ne s’arrête pas là. Quatre mois après, le 19 juillet 2006, une épée de Damoclès plane encore sur la tête de certains responsables du CDP. Une lettre confidentielle est adressée au président du parti. L’objet mentionné à la première page est très évocateur : « Actes d’indiscipline et propositions de sanctions ». Le cachet qui y figure ne lésine pas sur la gravité du problème : « Urgent ». Son auteur ? Oubkiri Marc Yao, député de son état, commissaire politique régional de la Boucle du Mouhoun. Dans ce document de 13 pages (chiffre de malheur), il accuse certains membres du CDP d’avoir trahi le parti lors de la dernière élection des maires de communes.
Le maire actuel de Solenzo, Luc Coulibaly, alors militant du CDP, est ainsi accusé d’avoir « conclu une alliance contre-nature avec les conseillers de l’opposition (ADF/RDA, UNIR/MS et PDP/PS) » et d’avoir mobilisé les militants mécontents du CDP pour se faire réélire. Contre évidemment le candidat du parti, Laurent Coulibaly, adjoint au maire sortant. Oubkiri Marc Yao n’en revient pas. Dans la lettre adressée à Roch Marc Christian Kaboré, il est sans ambages : « Au regard de la gravité de l’acte d’indiscipline posé par le camarade Luc Coulibaly, nous proposons qu’il soit suspendu de toute activité du parti conformément à l’article 39 des statuts du CDP ». Et il a été suspendu, le 16 novembre 2006, « de toutes les activités du parti pour une période d’un (1) an pour fait d’indiscipline ».
« J’ai été persécutée »
Il n’est pas seul sur la liste noire. Marc Yao souhaite vivement, dans son rapport confidentiel, que l’ex-maire de Dédougou, Elizabeth Hakani Kondé, soit « suspendue du parti ». Pas seulement elle : « Quant aux dix conseillers CDP qui ont suivi la camarade Kondé dans ses errements, il serait souhaitable qu’un blâme leur soit infligé », écrit le commissaire politique à la page 8 de son rapport. Ils sont tous accusés d’avoir trahi le parti. D’abord pour avoir « déposé une lettre de protestation sans fondements et pour avoir quitté la salle lors des primaires qui devaient désigner le candidat du parti ». Le commissaire politique régional affirme aussi que le jour de l’élection du maire, « la camarade Kondé s’est présentée contre le candidat du CDP en essayant d’obtenir le soutien des conseillers UPR ». Mais elle a perdu. Cependant, Oubkiri Marc Yao tient mordicus : « Cette issue heureuse n’enlève rien à la gravité de l’acte posé par la camarade Kondé ». Il faut, dit-il, la suspendre du parti.
Le Secrétaire général de la province des Balé, Boubakar Guira, a connu le même sort. Une militante de la province, Salamata Karantao, « retenu par consensus comme candidate du parti au poste de 2è adjoint au maire, s’est présentée comme candidat au poste de 1er adjoint et a battu le candidat du parti ». Conséquence : Marc Yao propose, dans sa lettre confidentielle, qu’elle soit sanctionnée par un blâme.
La liste est longue. Et la riposte ne s’est pas fait attendre. L’info classée « top secret », adressée à Roch marc Christian Kaboré, a fini par sortir de sa tunique secrète. Les réunions en cercles restreints se sont alors multipliées. Chacun voulait absolument trouver des stratégies appropriées pour sauver sa tête. Une certaine haine s’est alors développée contre le commissaire politique régional, Oubkiri Marc Yao.
3 août 2006. L’ex-maire de Dédougou, Elisabeth Hakani Kondé, chargée de la gestion des collectivités locales, sort du silence. Et de façon véhémente. Elle adresse un rapport de 9 pages au président du Bureau politique national (BPN), Roch Marc Christian Kaboré : « Camarade président, ce qui s’est passé le 30 mai 2006, lors de l’élection du maire de Dédougou, n’a été que l’aboutissement logique de l’acharnement nourri et d’une conspiration de silence de la part des membres du Bureau politique national de la province contre ma personne depuis le début du processus électoral : sélection des candidats, campagne électorale, choix du candidat CDP à la mairie ». Puis, argument après argument, elle balaie les accusations portées contre elle et montre comment elle a été acculée jusqu’à son dernier retranchement avant d’être contrainte de réagir énergiquement pour une question de survie politique. Elle a aussi fait de terribles révélations. Morceau choisi : « Dans l’intention de couler la liste CDP (…), les camarades Secrétaire provincial et Secrétaire départemental, de concert avec l’opérateur économique Mahamadi Bonkoungou, la camarade Koté/Abou Korotimi et bien d’autres camarades militants ont entrepris de financer la campagne d’un autre parti à Bokouy (où j’étais candidate), en l’occurrence le RPP-Gwassigui.
Tous les témoignages confirment que près de trois millions (3 000 000) de francs CFA ont été consacrés à cette opération. Ces faits graves, connus de tous à Dédougou et d’ailleurs, du commissaire régional (Oubkiri Marc Yao, NDLR) et de sa suite ont également fait l’objet d’une correspondance que j’ai adressée au commissaire régional sur conseil du camarade Simon Compaoré, à qui je m’étais confiée au téléphone (…) pour les persécutions que je subissais en tant que maire et en tant que Secrétaire chargée des collectivités au sein de la section provinciale sans que le commissaire régional ne s’en offusque. Pourtant, aucun manquement dans l’exercice de ma fonction ne m’avait été notifié. En dépit de cet acharnement des propres camarades du parti contre la liste de Bokouy, le CDP a raflé les deux sièges au soir du 23 avril 2006 ».
Grosse colère
A la page 8 de son rapport, Elisabeth Hakani Kondé fait monter la pression contre le commissaire régional, Oubkiri Marc Yao : « J’ai agi en connaissance de cause et avec la conviction d’assumer la ligne du parti. Ce qui est arrivé le 30 mai 2006 est la conséquence logique des graves contradictions qui opposent la grande majorité de la section au clan du Secrétaire provincial malheureusement soutenu par le commissaire régional. Pour s’assurer l’allégeance des acteurs locaux et de certains membres du BPN originaires de la province et de la région, le commissaire régional n’a pas hésité à couvrir et à faire siens, les agissements anti-statutaires dont j’ai été la victime ». Et voici la sentence qui tombe, brusque et fracassante : « A la force des arguments et de la démocratie interne, ils ont opposé la corruption, l’injustice et l’arbitraire ; et le commissaire régional leur a apporté sa caution.
Pour asseoir son autorité et justifier ses décisions, le commissaire régional a fait l’arbitrage qui lui convient, et son choix a eu l’appui politique et financier pour transformer la majorité en minorité et ensuite proposer que cette minorité soit sanctionnée vite et bien pour indiscipline à travers ma personne et les conseillers qui m’ont soutenus ». Visiblement, l’ex-maire de Dédougou est animée d’une grosse colère. Et elle n’a pas hésité à le dire à Roch Marc Christian Kaboré : « Il est révoltant que les uns comme moi soient traqués au mépris total des textes règlementaires et que rien ne soit fait, ni sanction ni rappel à l’ordre à l’endroit des autres, et qu’inversement, au moindre geste qui vise à me défendre, on trouve des marques sévères d’indiscipline et qu’on propose des sanctions rapides et immédiates, sans doute avant que la vérité ne soit publiquement connue ».
Ainsi, la tension politique est devenue de plus en plus vive dans la Boucle du Mouhoun, le fief de Oubkiri Marc Yao. Plusieurs membres du parti se sont sentis du coup menacés. Une phrase révoltante fourmille alors dans les têtes comme une incantation :« Si Marc Yao a pu proposer des noms dans une lettre confidentielle au président du parti pour sanction, c’est qu’il est capable de faire pire que ça ». Mais les partisans du commissaire politique régional sont formels : « C’est une directive du parti. Tous les commissaires politiques régionaux se sont soumis à cet exercice ». Mais dans la Boucle du Mouhoun, les frustrés attendaient le bon moment pour se venger…
Et voici venue l’heure des élections législatives. Chaque candidat à la candidature devait être soumis à l’appréciation des Secrétaires généraux des sections et sous sections du parti. Oubkiri Marc Yao se retrouve ainsi à la barre dans sa région. Echec et mat ! Sur la fiche transmise au président du parti, il est présenté comme un leader impopulaire, incapable de mobiliser ses troupes et de créer la cohésion en leur sein. Après l’examen des différents dossiers, la sphère dirigeante du CDP est dans le doute. Le retenir comme candidat du parti dans la région pourrait créer de graves scissions parmi les militants. Et écorcher sérieusement la marque de confiance des militants vis-à-vis des membres du Bureau exécutif national. Ecorcher aussi l’image du parti et permettre ainsi à l’opposition d’effectuer une percée dans la région. Les explications répétées de Marc Yao ne parviennent pas à inverser la tendance. Même lorsqu’il brandit sa tunique de deuxième vice-président du parti. Le CDP ne veut pas prendre de risque. Il sait que l’opposition est aux aguets et pourrait puiser dans le lot des militants mécontents. Après de longs moments de doute, le Bureau exécutif tranche enfin : Oubkiri Marc Yao ne sera pas candidat dans sa région. Le commissaire politique régional est déçu, très déçu même. La Boucle du Mouhoun était, selon lui, pourtant une zone fertile, susceptible donc de le propulser sur la cime des honneurs et l’installer confortablement dans un fauteuil à l’Assemblée nationale.
L’espoir s’est défait à vive allure
La sphère dirigeante du parti tente de colmater les brèches. Il veut, à tout prix, éviter que la barque du CDP prenne de l’eau et se retrouve, petit à petit, au creux de la vague. Suite à de multiples réunions, la solution est enfin là : Oubkiri Marc Yao sera positionné sur la liste nationale. Ce dernier applaudit, considérant cela comme une belle réplique à ceux qui s’opposent à son ascension politique. Mais peu après, son espoir se défait à vive allure. Le deuxième vice-président, donc numéro 3 du parti, est complètement déboussolé lorsqu’il apprend qu’il est classé 7è sur les 15 candidats de la liste nationale. Non, ce n’est pas possible ! Il estime qu’il y a quelque chose de très suspect dans cette affaire. Et que même au sein de la sphère dirigeante du CDP, la gangrène de la jalousie s’est installée.
Marc Yao met en branle ses relations politiques pour corriger ce qu’il considère comme une grave « injustice » et qui pourrait, si l’on n’y prend garde, créer des remous au sein du parti. Le Bureau exécutif affirme l’avoir compris mais tient mordicus sur sa position. Changer l’ordre établi sur la liste nationale pourrait créer de terribles frustrations au sein de certains candidats à la candidature qui, eux, ont eu la caution de leurs militants de base. Le Bureau exécutif est sérieusement embarrassé. Une autre réunion se tient. Mais pas question de réinventer la roue. Oubkiri Marc Yao est de plus en plus isolé. Il regarde Roch Marc Christian Kaboré et certains membres du Bureau exécutif national en chien de faïence. De plus en plus, le climat se détériore. N’en pouvant plus, le deuxième vice-président décide de se retirer de la liste nationale. Il estime que ce « sale » épisode est un « sabotage pur et simple » de sa personne et de son honneur.
Il tente alors de manœuvrer pour se repositionner dans les bonnes grâces de la politique. Mais il n’aura pas la chance d’occuper un fauteuil ministériel. Comment rebondir ? Marc Yao a sa petite idée. Les tractations pour la formation du CDP en 1996 défilent dans sa mémoire. Il revoit sa douloureuse séparation avec le Professeur Joseph Ki-Zerbo pour répondre à l’appel du large rassemblement. Il fait aussi une halte sur les gros sacrifices que lui et ses amis de l’ex-CNPP/PSD ont consentis pour donner une nouvelle vie à l’ODP/MT de Blaise Compaoré. Il se rend enfin compte qu’en politique, un plus un ne font pas forcément deux. Marc Yao décide alors de battre le rappel de ses troupes pour se refaire une nouvelle santé politique. Pierre Joseph Tapsoba, ancien ministre, ancien député, Secrétaire à la formation politique et civique du CDP, membre du Bureau exécutif national, décide d’emboucher la même trompette. De même que Moussa Boly, ancien député et ancien questeur de l’Assemblée nationale. Lui aussi est membre de l’instance suprême du parti. Il occupe précisément le poste de Secrétaire chargé de l’emploi et de la formation professionnelle. Mais pas seulement eux.
René Emile Kaboré, ancien ministre, député, membre du Bureau politique national (BPN), Mathieu Ouédraogo, lui aussi ancien ministre et membre du BPN, et Amadé Taho, ancien député, membre du Bureau politique national, sont aussi sur la liste des protestataires. En réalité, la liste est plus longue. Des têtes couronnées qui agissent pour le moment dans l’ombre pourraient les rejoindre officiellement bientôt. Tous semblent avoir juré fidélité au président Blaise Compaoré. Mais ils désapprouvent énergiquement les méthodes de gestion du parti au pouvoir. Le 23 avril 2008, ils publient un pamphlet et mettent à nu, sans ménagement, la gestion nauséabonde du parti. Le document « explosif » trouble fortement le sommeil de Roch Marc Christian Kaboré. Ce dernier voyait venir les choses. Il avait même détecté certains signes qui ne trompaient pas…
Mais le détail qui lui échappait, c’est le fait que les mécontents aient publié certaines pratiques « obscènes » du parti dans la presse. Les tentatives de conciliation des deux parties se soldent par un échec cuisant. Le Bureau exécutif national décide alors d’utiliser la méthode forte… avant qu’il ne soit trop tard. Les contestataires sont suspendus du parti en attendant la décision finale du prochain congrès. Le 11 novembre 2006, Roch Marc Christian Kaboré avait clos le 3è congrès ordinaire sous un tonnerre d’applaudissements. Il avait prôné « un CDP plus uni, plus solidaire, plus opérationnel ». Mais les dieux de la politique ne l’ont pas entendu de cette oreille.
Par Hervé D’AFRICK
Le Reporter