De la kalach à Pô au samsa à Niamey (Ex-sergent-chef Youmali Issouf Lompo)
Ex-sergent-chef Youmali Issouf Lompo
De la kalach à Pô au samsa à Niamey
Un
homme de 52 ans qui prépare et vend des beignets au bord de la route.
La scène se déroule à Niamey et ne pouvait qu'intriguer un Burkinabè,
comme moi, de passage dans la capitale nigérienne. Ma surprise a été
encore plus grande lorsque je me suis rendu compte que ce « cuisinier »
est non seulement un compatriote mais aussi un ancien commando de Pô,
qui a fui le Burkina suite au coup d'Etat qui a renversé le capitaine
Thomas Sankara en octobre 87...
....A
son « usine », située près du stade Seyni-Kountché sur le boulevard
Zarmanganda en face du Village chinois, l'ex-sergent-chef de l'armée
burkinabè, Youmali Issouf Lompo, puisque c'est de lui qu'il s'agit,
s'est confié à moi dans cet entretien en levant le voile sur des pans
entiers de sa vie.
Vu
du Burkina, votre pays d'origine, on peut dire que vous faites là un
travail bien atypique. Avez-vous toujours fait ce boulot depuis que
vous êtes établi au Niger ?
•
Je dois préciser que j'ai d'abord travaillé comme imprimeur à
l'imprimerie Al-Barka à Niamey entre 91 et 94. Puis, j'ai été
temporairement avec des Américains durant deux ans. C'est après cela
qu'un coopérant français m'a engagé comme cuisinier. J'ai passé trois
ans avec lui. Quand il est rentré en France, je me suis retrouvé au
chômage. J'ai alors commencé le jardinage pour pouvoir nourrir ma
famille. Je cultivais des carottes, des choux, de la salade, etc. Mais,
entre-temps, il y avait mévente au jardin et j'ai été obligé de venir
m'établir au bord des grandes avenues pour essayer d'écouler moi-même
mes produits.
Donc vous avez été aussi vendeur de salade ?
•
Tout à fait. C'est d'ailleurs là qu'un garde républicain m'a suggéré de
préparer ma salade avant de la vendre. Il m'a donné 5000 F pour que je
puisse commencer mon affaire. Quand la période propice à la culture de
la salade est passée, j'ai commencé à faire des frites de pomme de
terre et d'igname. Comme ça marchait bien, j'ai donc varié avec les
beignets de farine de haricot (samsa) et de farine de blé (bourmassa).
Quelle est votre situation matrimoniale ?
•
Je suis marié à une femme haoussa et suis père de six enfants. Ils vont
tous à l'école sauf l'aîné, qui a quitté les bancs et est maintenant
taximan au Ghana.
Que fait votre femme dans la vie ?
• Elle fait du petit commerce en vendant des cacahouètes. Parfois elle prépare du riz pour le vendre au bord de la route.
Votre épouse pense quoi de votre boulot ?
• Elle est très fière de moi et me soutient. Elle me dit qu'il n'y a pas de sot métier à part le vol.
Et vos enfants, qu'est-ce qu'eux pensent de votre boulot ?
•
Voici mes enfants [il me les montre]. Ils sont fiers de moi, car ils
savent que c'est le fruit de ce travail qui les nourrit. On travaille
en tandem : ils m'aident, en transportant les ustensiles de cuisine,
l'eau et le bois de chauffe. Ils font aussi ma vaisselle quand ils ne
vont pas à l'école.
Quelle est la composition de votre clientèle ?
•
Sans distinction, hommes, femmes, jeunes et enfants, tous achètent mes
friandises. Mais mes clients sont surtout des agents du ministère de la
Jeunesse et les habitants du quartier Plateau.
Quand un client vient pour la première fois, est-ce que vous ne sentez pas chez lui de l'étonnement en vous voyant au fourneau ?
•
Tout à fait. Beaucoup s'étonnent de me voir ainsi à l'œuvre. Certains
s'étonnent qu'à mon âge je sois toujours là à faire ce métier. Mais je
leur réponds que ça ne me dérange pas.
Pourquoi est-ce que vous avez choisi d'établir votre fourneau sur cette avenue ?
•
Il faut dire qu'avant, tous ces bâtiments n'existaient pas. J'étais
sous un manguier, où je faisais mon commerce. C'est lors du lotissement
que je me suis rapproché de la route.
Quels rapports entretenez-vous avec les femmes qui font la même activité que vous aux abords du boulevard Zarmanganda ?
•
Tout va bien entre nous. Nos rapports sont conviviaux. Elles viennent
me demander des services, comme des sachets, du piment ou tout autre
assaisonnant lorsqu'elles sont en rupture de stocks. Elles trouvent en
plus que je sais bien préparer mon piment.
Dites-moi, monsieur Lompo, vous faisiez quoi au Burkina avant de vous installer au Niger dans les années 90 ?
•
… (Longue hésitation, puis il se décide à parler). Franchement dit,
j'étais dans l'armée. J'étais sergent-chef. Je suis de la classe 79 et
mon numéro matricule est le 007269. J'étais au Centre national
d'entraînement commando (CNEC) de Pô. Nous étions proches du capitaine
Thomas Sankara. Suite au coup d'Etat qui l'a renversé, pour des raisons
de sécurité, beaucoup d'entre nous se sont dispersés, en quittant à la
hâte et clandestinement le pays.
Depuis 1987 vous n'avez jamais remis les pieds au Burkina ?
•
Non. Ici, je suis père de famille. Et pour le moment je ne peux pas
retourner au pays, faute de moyens. Sinon c'est mon rêve de retourner
dans mon Faso natal.
Quand vous avez quitté le Burkina quel a été votre parcours d'exilé ?
•
Je suis entré au Ghana, d'où je suis arrivé au Niger avant de continuer
mon chemin en Libye. C'est là qu'avec un ami malien, un certain Modibo,
je suis parti en aventure en Algérie et au Tchad. On a été jusqu'en
Tanzanie avant de revenir au Sénégal puis en Libye et enfin au Niger au
début des années 90, où je me suis établi, puisque l'aventure ne me
réussissait pas.
Avec un tel parcours vous devez parler quelques langues ?
• Je parle d'une près dizaine de langues : moorée, gourmantché, fulfuldé, français, anglais, haoussa, djerma, bambara.
Vous étiez combien de militaires à fuir le pays ?
•
Chaque chose en son temps. Je ne peux pas vous vous le dire. Mais
sachez que j'ai de l'amour pour mon pays. Je veux bien rentrer au pays
et entreprendre quelque chose.
Vous étiez donc sergent-chef au CNEC à Pô. Est-ce que vous vous souvenez de certains de vos collègues militaires ?
•
J'ai beaucoup de souvenirs. Je me souviens de mon ami le sergent-chef
Karim Tapsoba. Sous la Révolution, il fut régisseur de la Maison
d'arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Je me souviens aussi du
sergent Xavier Tougma et du lieutenant Idrissa Nana. A Pô nous étions
avec Gilbert Diendéré et Blaise était notre commandant.
Vous avez peur de rentrer au Burkina ?
•
Je n'ai pas aussi peur que ça. Seulement si je rentre, je ne serai pas
dans des conditions normales pour stabiliser ma famille.
Mais 20 ans après les événements d'octobre 87, il n'y a plus de nuages entre vous et Blaise ?
•
Pour moi, il n'y a plus de problème, seulement je ne sais pas s'il en
est de même pour lui vis-à-vis de moi. Je ne sais pas s'il a quelque
chose contre moi. Pour ma part, tout cela, c'est du passé. De plus, je
me dis qu'avec le vent de la démocratie, normalement je ne risque plus
rien.
Avez-vous une idée de ce que sont devenus les autres déserteurs ?
•
Je n'ai pas beaucoup d'information là-dessus. Mais il semble que
certains sont rentrés au pays, comme Dieudonné Zityandé, qui était de
l'escadron blindé. C'est en tout cas ce que son frère m'a dit quand on
s'est rencontré, par hasard, à Niamey. A l'époque, il m'a même
conseillé de rentrer, mais j'étais sur le point de me marier…
Savez-vous que de nombreux militaires brimés lors de la période de l'Etat d'exception ont été réhabilités ces derniers temps ?
•
J'en ai entendu parler à la radio. Je pense qu'on devrait pouvoir aussi
statuer sur mon cas et m'octroyer uneeeee pension de retraite.
Alors vous comptez monter un dossier dans ce sens ?
•
Je veux bien être réhabilité. Je pense souvent à ça. Mais vous savez,
je suis pauvre, est-ce qu'on va m'écouter ? Il semble qu'il faut être
appuyé pour obtenir gain de cause. Moi, je n'ai personne…
Si vous devez rentrer au Burkina, vous vous installeriez à Ouaga ?
• Non. Si je rentre, c'est à Namounou que je vais m'installer. C'est à quelques kilomètres de mon village natal, Lambouali.
Avez-vous des relations avec votre famille au Burkina ?
J'ai
gardé certains contacts au village. Mon beau-frère est un infirmier
d'état en poste à Kantchari. Il sait que je suis à Niamey. J'ai des
parents, qui sont venu ici me rendre visite et ils m'ont dit avoir
appris que j'étais mort.
Propos recueillis à Niamey par
San Evariste Barro
L'Observateur Paalga du 10 juillet 2008
Encadré
Lompo, la mascotte du boulevard Zarmanganda !
Il
fait véritablement parti du décor sur le boulevard Zarmanganda dans le
quartier Plateau de Niamey. Derrière sa poêle de samsa et de bourmassa
en face du Village chinois, Youmali Issouf Lompo a été un sujet de
curiosité pour moi dès mon arrivée dans la capitale nigérienne le 21
juin 2008. En effet, je n'avais jamais vu un homme en train de préparer
et vendre des friandises. Ici, au Faso, c'est un boulot plutôt réservé
aux femmes.
Et
il faut dire que, comme moi, beaucoup de personne ont été étonnées de
voir un homme d'un âge certain derrière le fourneau des friandises.
Maïmouna Koudougou Diallo, une Nigéro-Burkinabè, a aussi été surprise
de voir un homme occupé à cette tâche pour gagner sa pitance
quotidienne.
« Ce
qui m'étonne chez Lompo, c'est son âge. Sinon vers le marché de
Yantala, on voit de jeunes garçons qui font la même chose que lui ».
Elle estime que si « le vieux » mène cette activité, c'est parce qu'il
n'a sûrement « personne sur qui compter pour l'aider et que ses enfants
sont trop jeunes pour le soutenir ».
Il
y a trois mois, l'étonnement était aussi à son comble chez Ibrahim
Moumouni lorsqu'il a été engagé comme gérant d'une boutique de vente de
CD et de DVD : « C'est la première fois dans ma vie que j'ai vu un
homme préparer et vendre des friandises ».
Ibrahim
Moumouni affirme que chaque jour, les clients de sa boutique lui
demandent si ce vendeur de friandises est vraiment un homme. « Je leur
assure tout de suite qu'il est bel et bien un homme et je leur précise
même qu'il est Burkinabè ».
Il
semble que le commerce de Lompo marche assez bien, si on ose dire,
puisqu'il ne fait jamais d'invendu. « Les mets préparés par Lompo sont
très prisés. Des gens viennent ici en voiture ou à moto spécialement
pour payer des friandises ».
Une
chose est sûre : sur le boulevard Zarmanganda, passé l'étonnement, tout
le monde est unanime à reconnaître le mérite de ce cinquantenaire, qui
se bat pour procurer le pain quotidien à sa famille.
En
se comportement ainsi avec dignité et humilité, Lompo fait honneur à
son pays, en restant intègre. C'est sans doute ce courage qui a valu à
cet ancien élève de l'école St-André et du "Centre austro", situés à
Ouagadougou, la protection du Pr Seyni Hamado, responsable de la
clinique « Couronne Nord » à Niamey. En effet, Lompo habite une maison
mise gracieusement à sa disposition par ce médecin.
S. E. B.