Démocratie : « Le sésame ouvre- toi » des élites africaines

Démocratie : « Le sésame ouvre- toi » des élites africaines

lundi 12 mai 2008.
 
Les processus démocratiques, malgré leurs limites sous nos cieux, ne sont pas pour autant condamnés en Afrique. Ils sont à construire. Même si pour l’heure, en tout cas, l’anti-démocratisme semble être parfois, la chose de l’Afrique, la mieux partagée, au point où il ne serait pas exagéré de penser que la démocratie (cette démocratie-là) est une menace pour l’Afrique et les Africains, dans le sens de Tocqueville.

Selon lui : « Non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains. Elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le refermer enfin, tout entier dans la solitude de son propre cœur. » Alors, la menace de cet enfermement s’aggravant, la distance entre masse et élite s’approfondissant, la démocratie parlementaire s’opposant de plus en plus à la culture démocratique, « un jour ou l’autre », pense François-Xavier Verschave, « le ministre d’Afrique centrale[…] annoncera qu’il a neigé sur une capitale d’Afrique centrale et les braves journalistes de télévision répéteront qu’il a neigé sur cette ville. » Ajoutons : « et les populations se déplaceront en masse pour aller voir la neige. Comme quoi on ne médiatise jamais ni innocemment ni inutilement ».

En réalité, la démocratie africaine, dans les textes et dans les faits, ne correspond pas encore à ce qu’elle devrait être. D’abord, au niveau de sa définition même, on devrait remplacer la formule : gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, par celle-ci : gouvernement du peuple par une élite sortie du peuple. On peut penser qu’il en a toujours été ainsi, partout. Mais la différence fondamentale réside dans la distance qui sépare la masse de l’élite ; seule cette distance permet aux uns d’être acceptables, aux autres d’être populistes, aux autres enfin d’être,(presque) des démocrates de la terreur.

La première Constitution du Burkina (alors Haute-Volta) a été approuvée à des suffrages exprimés avec un taux de participation de l’ordre, ô des traditionnels 99, XXXX %. Le pays avait moins de 2% de lettrés. Leurres et lueurs de la démocratie étaient à l’époque leurs problèmes à cette infime minorité. Ce que l’on oublie de rappeler, c’est que parmi ces 2%, il s’en est trouvé qui ont utilisé le fouet pour faire marcher « le troupeau » des votants, formé de leurs vénérables pères et mères, vers les urnes. Aujourd’hui, les choses ont peut-être changé de nom, mais elles demeurent dans leur nature : la démocratie africaine, c’est, avant tout, « le sésame ouvre-toi » des lettrés.

On rétorquera que si les masses paysannes adhèrent aux principes de la démocratie, tout ce qu’elles feront par la suite dans le sens d’une gouvernance démocratique les rend productrices de démocratie. On peut en douter, parce que le mot adhérer, ici, est vide : on n’adhère pas librement, comme le veut la démocratie, à des principes qu’on ne comprend pas. Au mieux, on peut affirmer avec Francis Balle que « la démocratie,[ même africaine] s’épanouit à l’intérieur du triangle décrit par les relations d’alliance et de rivalité qui se nouent entre les représentants de ces trois activités :les mandarins , les marchands, les "médiateurs." Chacun trouve auprès des deux autres, non seulement une limite à sa propre puissance, mais le moyen de répondre à sa vocation ». Ce qui se dessine ainsi à l’intérieur de ce triangle, dans la démocratie en Afrique, c’est la figure même de la complicité entre des riches à divers niveaux : riches de savoirs modernes (ils sont quelques milliers contre des centaines de millions) ; riches d’argent (c’est-à-dire quelques centaines au détriment de la majorité) ; riches de la considération de leurs semblables (encore une minorité par rapport aux populations dans leur ensemble). Le proverbe dit : « quand l’homme se décide à consommer les termites comme le font les oiseaux, il leur trouve un nouveau nom ». Nous pouvons de la même manière affubler notre démocratie de toute définition qui nous la rendrait acceptable.

Dans la pratique, pour éliminer ou affaiblir les opposants, tous les moyens sont utilisés en Afrique. Entre autres exemples, la conciliation : deux partis régionaux s’entendent, se partagent les postes et fusionnent en un seul ; s’il y a un troisième parti qui guette le même électorat, il est alors trop faible pour résister. La loi électorale : on fait de tout l’Etat une seule circonscription électorale avec un scrutin de liste majoritaire ; l’opposition est alors désarmée. Ce qui signifie que la critique et, probablement la voix des médias, seront affaiblies sinon supprimées. Le procès : soit pour corruption, soit pour complot contre la sûreté de l’Etat. Il en découle des meurtres, des emprisonnements, l’exil et la dissolution du parti minoritaire. L’achat des consciences : dans un contexte général de pauvreté socioéconomique, le prix des consciences se négocie. Selon qu’il a bien plu ou pas, la surenchère monte ou baisse, tout dépend aussi de la poche du Léviathan acheteur de consciences.

C’est dans ces conditions si réelles, si présentes, qu’il faut se demander comment peuvent émerger, simultanément et de façon interactive, à la fois, une culture médiatique et une culture démocratique. Comment, par exemple, les médias peuvent-ils marquer la pratique démocratique en Afrique, pour que le multipartisme, la liberté de la presse, l’indépendance de la magistrature, l’organisation d’élections libres, l’alternance au pouvoir,…deviennent des réalités dans la culture des masses africaines ? A la réflexion, les deux cultures, dans leur évolution, ne peuvent qu’aller ensemble. Chacune ne se renforce qu’en renforçant l’autre.

Quand il leur arrive de collaborer dans le sens du pire, elles engendrent des monstres comme : « la Radio mille collines » de Kigali dans le génocide rwandais. Mais quand la démocratie, en sa pratique et ses fins, est en relation bien comprise avec les médias, on assiste à la naissance de facteurs irremplaçables de progrès socioéconomique au bénéfice de tous (…) En tous les cas, dans un contexte de relecture de la loi électorale, de refondation dite démocratique, il faudrait peut-être demander au « peuple » son avis. Pour que cela ne reste pas une fois encore « une affaire au sein de l’élite »

Par Ibrahiman SAKANDE Email : ibra.sak@caramail.com

Sidwaya



13/05/2008
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