Départ de Salif Diallo du gouvernement : La fin d’un mythe ?

 
C’est finalement le week-end pascal qui lui aura été fatal. L’annonce du limogeage de Salif Diallo, le ministre le plus puissant que la IVe République ait enfanté , s’est faite à une heure tardive, un jour de Pâques, où la vigilance s’est émoussée.

A l’image des décisions difficiles que l’on veut faire passer sans faire de vagues, comme des projets de loi impopulaires, le remaniement de ce week-end s’est fait en catimini. Une chose frappe cependant aux yeux, c’est le fait qu’il ait été fait sur mesure. Sauf omission, dans l’histoire récente du Burkina, c’est bien la première fois qu’un ministre est directement visé par un réaménagement de l’équipe gouvernementale qui ne laisse aucune ambiguïté quant à la principale cible de l’oukase présidentiel.

Officiellement, comme en de pareilles circonstances, aucun commentaire n’a accompagné ce mini-séisme politique. A chacun donc de décrypter l’événement selon des prismes qui lui sont propres et avec les clés en sa possession. En tout état de cause, un climat lourd fait de suspicions, de rumeurs, de ragots et d’intoxication pesait et mettait principalement Salif Diallo sur la sellette. La météo politique charriait un mauvais temps annonciateur d’un orage . Que ce soit dans ses relations avec François Compaoré, frère cadet et conseiller du chef de l’Etat, ou avec le Premier ministre, les points de rupture avec Salif Diallo avaient atteint leur limite.

La confrontation avec François Compaoré était devenue un sujet de conversation presque banal dont certains médias se délectaient régulièrement, s’ils ne poussaient pas à la rupture qui, de leur point de vue, clarifierait la situation. Si cette hypothèse est avérée, il va sans dire que le chef de l’Etat, qui semblait hésiter dans cette guéguerre, a tranché dans le vif, et en faveur de François. Cela, sous réserve de voir bien sûr si Salif Diallo, en quittant le poste hautement stratégique de l’Agriculture, aura de nouvelles responsabilités aussi importantes.

En plus du contentieux avec le conseiller du président, Salif Diallo ne semblait plus en bons termes avec le Premier ministre. Autant avec Ernest Paramanga Yonli, le courant ne passait plus, autant avec son successeur, la même rivalité a vite fait jour. Un ministre auréolé de sa longue collaboration avec le président et de sa connaissance de nombreux dossiers d’Etat, peut en effet se croire tout permis, y compris défier le chef du gouvernement. Tertius Zongo a-t-il senti le danger de se faire phagocyter et vampiriser par un Salif Diallo trop puissant ? En tout cas, avec cette mise à l’écart, il est débarrassé d’une personnalité qui pourrait lui faire ombrage et fragiliser son action à la tête du gouvernement. Du même coup, il marque son territoire et affiche sa personnalité, celle d’un homme qui peut allier amabilité et fermeté.

On raconte d’ailleurs que le premier incident entre les deux hommes s’est déroulé en Conseil des ministres, quand Salif Diallo a été interdit d’accès à la salle pour cause de retard. Une information qui avait surpris plus d’un mais qui traduisait sans doute la volonté du nouveau locataire de la Primature d’affirmer son autorité. Doit-on croire que la situation conflictuelle a atteint un tel seuil que Tertius Zongo a dû anticiper sur le remaniement qu’il annonçait pour la mi-2008 ?

Salif Diallo parti, c’est donc un dinosaure qui quitte l’Exécutif. L’homme a en effet été de tous les combats politiques de Blaise Compaoré, celui à qui il voue une fidélité sans bornes. A tel point qu’il n’a jamais rêvé être calife à la place du calife. Ses ambitions, dit-on, sont à la limite portées vers d’autres postes comme le Premier ministère ou l’Hémicycle. Par le passé, il a toujours su rebondir quand on le disait fini. Mais les temps changent. Le contexte politique marqué par l’émergence de jeunes loups aux dents longues au sein du CDP peut éclipser la vieille garde.

Même s’il conserve son poste dans l’état-major du CDP (jusqu’à quand ?), Salif Diallo sort affaibli par son limogeage du gouvernement. Car en bête politique qu’il est, il s’est certainement fait de nombreux ennemis tant au sein de l’opposition que de la majorité. On ne compte pas le nombre de coups donnés à l’opposition, d’une façon ou d’une autre, et qui portent la signature de Salif Diallo. Pour se maintenir aussi durablement au sommet de l’appareil d’Etat et des instances du parti, il a forcément fait des mécontents dans ses propres rangs. Un homme politique, dans la plupart des cas, bâtit sa carrière en ruinant aussi celle de ses potentiels concurrents.

Dans son Yatenga natal en particulier, l’homme a fait et défait bien des ambitions politiques, au gré des différents enjeux. Tant et si bien qu’il faut se demander s’il est redouté ou adulé. Voilà pourquoi son départ ne semble pas préoccuper outre mesure le parti au pouvoir, étant donné qu’un ministre débarqué du gouvernement n’a plus droit aux égards de la courtisanerie. Il est vite oublié, et la meute de "fidèles" se déporte sans aucun regret vers les nouveaux vainqueurs. Il lui faut donc, à Salif Diallo, faire preuve d’un génie politique à tout rompre, comme il en a toujours fait la démonstration, pour garder la tête hors de l’eau et éviter le naufrage politique. Comment conserver intact ce mythe qui a fait sa longévité politique ?

C’est l’enjeu de l’avenir immédiat pour Salif Diallo, s’il veut en tout cas continuer en politique. A moins que ce départ n’ait été souhaité par l’intéressé, pour un repos bien mérité, après tant d’années à servir un pouvoir, un président, et un pays. Aucune hypothèse n’est à exclure quand une personnalité de la trempe de Salif Diallo est victime d’un remaniement ministériel.

"Le Pays"



26/03/2008
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