Enseignement supérieur au Burkina Faso : A qui profitent les crises ?
Enseignement supérieur au Burkina Faso : A qui profitent les crises ?
vendredi 19 septembre 2008.L’Université de Ouagadougou a traversé plusieurs crises ces dernières années pendant lesquelles, le secteur de l’enseignement a connu un fulgurant essor. Malgré cela, le choix de la filière d’études reste problématique pour les bacheliers.
Le privé n’en a pas tiré de dividendes
L’Université de Ouagadougou a traversé ces dernières années plusieurs crises. Aujourd’hui avec le foisonnement des écoles supérieures, des instituts de formation professionnelle, l’image et la crédibilité de l’UO semblent être mises à mal. Potentielles concurrentes du « temple du savoir », les écoles supérieures prennent la cote, non sans difficultés. A l’image d’autres universités africaines, le campus de Zogona est sévèrement frappé par des crises : grèves, boycott des étudiants. Les dernières années universitaires ont étés très perturbées. Face à l’instabilité du système public, le privé tente de prendre le relais. Au cours de la dernière décennie, on a assisté à la création d’une dizaine d’écoles supérieures concourant à la formation de cadres plus ou moins compétents. En effet, le contexte d’efficacité et de mondialisation impose aux entreprises d’avoir des cadres compétents aptes à affronter la rude concurrence du marché.
Pour le directeur des Affaires académiques, de l’Orientation et de l’Information de l’Université de Ouagadougou (DAOI), Samuel Nakolendoussé, “négliger l’enseignement supérieur aujourd’hui, c’est se perdre totalement”. Et pour cause ? C’est elle qui accouche les économistes, les médecins, les professeurs, tous les cadres compétents qui permettent de booster et d’orienter le développement d’un pays. Car tout progrès repose sur l’émergence de l’enseignement supérieur.
La création d’universités privées, d’écoles supérieures ou d’instituts de formation participe de cela. Mais l’Université de Ouagadougou reste dans le domaine de l’Enseignement supérieur la doyenne et la référence aussi bien au plan national que régional. Elle est “la deuxième université francophone d’Afrique”, a dit M. Nakolendoussé, “le moteur dans le dispositif d’éducation et de formation”, selon le président de l’Institut africain de professionnalisation en management (IAPM), André Abdoul Karim Traoré, directeur de Perfectum Afrique. L’Université de Ouaga II reçoit une partie des étudiants de cette université publique.
Les Universités de Bobo-Dioulasso et de Koudougou appartiennent également à l’État burkinabè. Le paysage de la formation supérieure est diversifié avec le foisonnement des écoles supérieures. Elles proposent une panoplie de filières de formation allant du management global aux relations publiques en passant par l’audit, le marketing, les finances, la comptabilité, la gestion etc. Depuis quelques années, choisir son université après le BAC est possible même si la question est mitigée. Cependant, le directeur de l’Ecole de commerce d’informatique et de gestion (ESCO-IGES), Ambroise Bakouan, estime que l’enseignement supérieur privé est un luxe pour le Burkinabè moyen au regard des frais élevés de formation qui se situent entre 300 000 et 750 000 (pour ce qui concerne son école).
A cela s’ajoutent les charges relatives aux moyens de déplacement, au carburant, aux fournitures et frais de recherche. “Je me demande comment certains parents font. Mais la formation n’a pas de prix », relativise-t-il. M. Traoré de corroborer : “L’investissement éducatif est le meilleur qui soit. Ce qu’on y met, on le récupère car il programme la victoire de demain”. Le problème de la qualité des diplômes laisse cependant nombres d’acteurs perplexes. “Il faut qu’on fasse attention”, prévient M. Nakolendoussé. Les fondateurs se basent sur les reconnaissances des diplômes de leurs écoles par le CAMES, dit-il, mais les gens ne prennent pas le soin de vérifier l’information.
“Parfois ce n’est qu’un seul diplôme qui est reconnu”, a confié M. Nakolendoussé qui s’insurge contre la délivrance de DUT aux non bacheliers dans le privé. Pour lui, il faut rendre le BTS obligatoire parce qu’à ce niveau, cela est organisé au plan national et le BAC est obligatoire pour y accéder. “Je défie l’UO de présenter ses meilleurs étudiants dans les mêmes filières que nous, au même niveau. Elle ne va pas nous dépasser”, répond M. Bakouan.
De son côté, M. Traoré se défend en ces termes :”Il s’agit d’un mauvais procès fait aux écoles supérieures privées qui ont l’avantage d’avoir des effectifs réduits propices à une meilleure formation des universitaires et professionnels avertis et forment des gens directement opérationnels. Le diplôme n’est que le baptême bureaucratique du savoir.
Ce qu’il faut aujourd’hui à nos jeunes, ce sont de réelles compétences compétitives qui leur permettent de relever les défis concrets au sein des entreprises”. Les intervenants sont cependant unanimes pour reconnaître la nécessité d’instaurer un partenariat public-privé avec le nombre de plus en plus croissant d’étudiants. L’Université de Ouagadougou a les effectifs les plus forts, pléthoriques dans les filières les plus demandées comme les sciences économiques et le droit. Toute chose qui oriente les préférences des nouveaux bacheliers vers le privé. Ce d’autant plus que les crises dans ce temple du savoir sont devenues récurrentes. Mais le coût élevé des frais de formation dans ces écoles empêche la réalisation de leurs desiderata.
Ce qui fait que les fondateurs ne peuvent pas tirer de dividendes des crises et autres difficultés de l’UO. “La bonne santé de l’enseignement privé dépend de celle du public”, a dit le président de l’IAPM qui compte pourtant augmenter le nombre de ces effectifs de 1750 à 1900 cette année. Le nombre d’étudiants s’est accru ces dernières années à ESCO-IGES. Conséquence des crises à L’UO ? Non ! répond M. Bakouan qui explique : “L’accès est limité par les frais d’études, ce sont les enfants des moins nantis qui vont à l’UO.
Ceux qui ont les moyens envoient leurs enfants à l’étranger ; c’est la qualité de la formation qui fait la publicité et emmène les gens”. “Difficile de faire le point des inscriptions à ce jour”, dit le DAOI. “Il ne faut pas ouvrir les écoles supérieures parce que le nombre d’étudiants va croissant, mais parce que les moyens le permettent, qu’on remplit les conditions requises pour dispenser des formations de qualité. Un minimum de contrôle s’impose pour éviter les dérives”, conseille M. Nakolendoussé. Les 40 000 étudiants de l’UO pourraient être mieux gérés si les Universités de Fada et de Ouahigouya avaient vu le jour. Sinon “l’UO est une mine d’or qu’il faut protéger”, a soutenu M. Nakolendoussé.
Séraphine SOME Pingwendé Nathanael CONGO (Stagiaire)
Orientations scolaires et universitaires
Entre informations et réalité
Le choix des filières d’études et de formation est fonction de plusieurs paramètres. Le Centre national de l’information et de l’orientation scolaire, professionnelle et des bourses (CIOSPB) accompagne, à sa manière, les étudiants à faire le bon choix.
La filière adéquate pour réussir sa formation universitaire, est cette équation qui se pose à de nombreux élèves après l’obtention de leur premier diplôme universitaire, le baccalauréat. Certains services comme le Centre national de l’information et de l’orientation scolaire, professionnelle et des Bourses (CIOSPB) leur donnent des informations afin de les aider dans sa résolution. Dans ce cadre, le CIOSPB mène des activités d’information et de sensibilisation sur les possibilités de formation et les structures d’emploi, contribuant ainsi à l’insertion professionnelle des jeunes et des chômeurs.
L’orientation, a expliqué le conseiller d’orientation, Yamba Alfred Sankara, “est un long processus qui commence dès le primaire. L’enfant a une idée de ce qu’il veut faire plus tard. Au fur et à mesure qu’il progresse en classe, sa vocation peut changer allant à la précision”. Pour le conseiller d’orientation et psychologue Abdou Karim Diop, il s’agit d’un “processus continu d’élaborations et de réalisations d’un projet individualisé de formation et d’insertion qui est en conformité avec les aptitudes, les intérêts et les motivations du sujet”. D’autres personnes interviennent toutefois dans le processus, en l’occurrence les parents, les camarades, les enseignants, les professeurs et les conseillers. Le mythe du métier et ses avantages sont également des facteurs qui influencent le choix dans l’orientation.
Le centre est ouvert à toutes les personnes en quête d’information sur le système éducatif au Burkina Faso, les possibilités de formation ici et dans d’autres pays. “Nous recevons des élèves, des étudiants et des parents qui viennent demander des informations sur les filières d’études disponibles”, a confié M. Sankara. Des missions d’information du CIOSPB parcourent aussi, chaque année scolaire le pays, pour rencontrer les élèves des différents établissements secondaires afin de leur expliquer le sens et la portée de l’orientation. Elles s’intéressent surtout aux élèves des classes d’examen et dans une moindre mesure à ceux des classes intermédiaires. Le centre est convié également dans les conférences pour parler de l’orientation, des formations et des bourses. La dernière invitation en date a été faite par l’Université de Koudougou où ses agents ont animé une conférence au profit des étudiants. Les élèves ont, selon les conseillers, la possibilité de jauger tous les paramètres avant de choisir leur filière d’étude. Le travail d’information effectué, la question qui se pose est de savoir si le choix des élèves est respecté au niveau des instances en charge de l’orientation.
elon les conseillers, au secondaire, les préférences des élèves sont généralement respectées. A l’Université, il leur est demandé de choisir trois filières de formation par ordre de préférence décroissante. Mais de source estudiantine, le premier choix, c’est-à-dire la filière désirée n’est pas toujours celle qui est attribuée à l’étudiant. La capacité d’accueil des étudiants justifie en partie cela, de l’avis de M. Sankara. Et le directeur du CIOSPB, Vincent Tiendrebéogo, de préciser : « Nous ne sommes pas impliqués dans l’orientation à l’Université. Notre travail c’est surtout en amont, en informant les élèves et étudiants avant qu’ils aient leurs diplômes ». Les conseillers estiment qu’il y a actuellement une tendance à la spécialisation des différentes universités. Ainsi, à Bobo-Dioulasso c’est surtout l’enseignement technique qui est dispensé, à Koudougou l’économie. La bourse est généralement octroyée au plus méritant. “Chaque année un arrêté du ministère indique le nombre disponible et le quota par domaine, selon les priorités du gouvernement et sa vision de la formation”, a expliqué M. Tiendrebéogo.
Celui-ci a indiqué que les bourses étrangères venant du Maghreb ont leur quota fixé par les pays donateurs. “Ici nous faisons la présélection et nous envoyons la liste des candidats choisis. Les donateurs font également une sélection et une liste définitive est retenue prenant généralement les majors des différentes séries. L’État met à leur disposition des billets d’avion aller-retour et le complément de leurs bourses si nécessaire”, a-t-il ajouté. Les difficultés du CIOSPB ont trait essentiellement au manque et à la vétusté de moyens logistiques. “Par ailleurs, tous les griefs possibles sont formulés sur la gestion des bourses. Ce n’est pas facile pour nous. On pense que les bourses c’est du tout et du n’importe quoi”, déplore M. Tiendrebéogo. Une commission nationale se réunit chaque année pour leur attribution.
Séraphine SOME serasome@yahoo.fr
Choix des filières d’études
De l’engouement pour les écoles supérieures mais...
Les inscriptions au titre de l’année académique 2008-2009 ont commencé dans la plupart des universités du Burkina Faso ainsi que dans les écoles supérieures. Le choix des étudiants par rapport aux différentes universités est fonction de leurs moyens financiers. Cependant l’Université de Ouagadougou s’impose à de nombreux nouveaux bacheliers pour des raisons diverses, malgré les critiques qui lui sont faites.
Les premiers pas sur le campus de Zogona ne sont pas toujours des plus aisés. Il y avait du monde le mardi 2 septembre 2008, 10 h à l’Université de Ouagadougou, la première et la plus grande Université du Burkina Faso. Après la fièvre du succès au premier diplôme universitaire, vient l’angoisse des premiers moments de la vie universitaire. La plupart des jeunes gens présents ce jour cherche à s’inscrire dans une des Unités de formation et de recherche (UFR). Ils étaient là, debout, en file indienne derrière les fenêtres de la Direction des affaires académiques, de l’orientation et de l’information (DAOI) ou arrêtés en petits groupes dans des Unités de formation et devant les tableaux d’affichage. Selon les informations données par l’un d’eux, les inscriptions ont débuté ce jour et se font par groupe. Ainsi les personnes dont les noms sont compris entre A et D devaient s’inscrire ce jour. Le programme des cours et examens ainsi que le paiement des prêts FONER sont affichés sur les tableaux et des étudiants, calepins en main, notent les informations. Un coup d’œil jeté dans quelques amphithéâtres indique que les cours ont effectivement commencé à l’Université après deux mois d’arrêt des activités académiques. Les nouveaux bacheliers, eux, sont facilement repérables.
En effet, s’ils ne sont pas accompagnés d’un guide, ils sont très souvent en train de se renseigner. Leur fiche d’inscription, de couleur jaune, indique également qu’ils entament leurs études supérieures. Ils ambitionnent de réussir dans leur nouvelle carrière. Les ambitions et les espoirs sont grands. Médecin, avocat, économiste, juriste, etc., sont les professions visées. Mais où étudier pour atteindre ces objectifs ? “Je suis titulaire d’un BAC D et j’ai demandé à être orienté à l’Unité de formation et de recherche en Sciences économiques et de gestion (UFR/SEG) car l’économie m’a toujours fasciné et je m’y intéresse”, a déclaré Bertrand Dabiré. Même choix pour Wemdmi Kombéré, titulaire d’un BAC G2. Quant à Linda Dao, elle, a préféré plutôt, avec son BAC G2, s’inscrire en droit. Ces deux filières de formation sont les plus sollicitées selon les statistiques et ont enregistré ces dernières années les effectifs d’étudiants les plus élevés. Toute chose qui a amené l’État à les délocaliser à Ouaga II et à Koudougou. Des écoles supérieures comme l’Ecole supérieure de commerce et d’informatique de gestion (ESCO/IGES), l’Institut supérieur d’informatique et de gestion (ISIG) ou l’Université catholique de l’Afrique de l’ouest (UCAO) offrent également des possibilités de formation dans des filières diverses.
Les offres de formation sont donc nombreuses. Mais leur accessibilité est fonction de la capacité financière des demandeurs et de la qualité des diplômes délivrés. “Ce n’est pas facile de s’inscrire dans une école supérieure au regard des frais d’inscription élevés et de la cherté de la vie”, a laissé entendre Casimir Compaoré. Nicolas Backo s’est inscrit d’abord à Koudougou. “Si mon dossier y est retenu, je vais y rester parce que le nombre d’étudiants n’y est pas pléthorique comme à Ouagadougou et les grèves sont peu fréquentes”, a-t-il soutenu. Bertrand Dabiré, Rasmata Balima et Ferdinand Congo auraient souhaité poursuivre leurs études dans des écoles supérieures et le cas échéant à l’étranger si les moyens ne faisaient pas défaut. Selon Bertrand Dabiré : “si la possibilité m’est offerte de poursuivre mes études à l’étranger, je n’hésiterais pas un instant “. Quant à Ferdinand Congo, il pense que “Beaucoup de gens ont opté pour les Universités de Koudougou et Bobo-Dioulasso parce qu’à l’UO c’est la pagaille”. Mais une autre motivation anime Linda Dao : “j’envisage m’inscrire à l’UCAO ou à l’ISIG pour préparer un DUT. C’est plus rapide que de faire quatre ans à l’Université de Ouagadougou (UO)”. Avec le manque de moyens financiers pour étudier dans les écoles supérieures et l’inexistence de certaines filières de formation comme le droit à l’Université de Koudougou et à l’Université polytechnique de Bobo-Dioulasso (UPB), de nombreux bacheliers se rabattent sur l’UO.
Pingwendé Nathanael Congo (Stagiaire)
Commentaire
Enseignement supérieur au Burkina : il faut oser... L’enseignement supérieur, on en convient, est le moule des concepteurs, décideurs, ingénieurs, techniciens et autres cadres qui apportent leurs expertises en matière de développement. L’Université de Ouagadougou constitue un des piliers du système éducatif et de l’enseignement et occupe une position importante dans la formation des ressources humaines au Burkina Faso. Elle a le mérite d’avoir formé plusieurs personnalités et leaders du pays ; ainsi nombre d’acteurs contribuent à son essor économique.
Mais le temple du savoir, secoué par plusieurs crises notamment les grèves, la suspension des cours, l’année invalidée semble avoir perdu son lustre d’antan. De nombreux étudiants, surtout les plus nantis, prospectent d’autres possibilités d’études dans les pays voisins ou dans l’Hexagone. Les écoles supérieures, instituts de formation ou universités privées qui ont émergé à la faveur des difficultés de l’UO et au besoin de formation de plus en plus croissant, attirent nombre de bacheliers. Cependant, le privé n’arrive pas à tirer véritablement parti de cette opportunité de formation et d’affaires.
D’une part, à cause des coûts exorbitants des frais de scolarité et d’autre part de la qualité de leur enseignement et des diplômes délivrés. Pourtant, le départ des étudiants vers de nouvelles contrées, bien que souvent nécessaire (toutes les filières n’existant pas au Burkina Faso) coûte très cher au pays. Puisque c’est des devises qui sortent lorsque l’Etat paie les bourses étrangères ou que les parents paient les études de leurs progénitures.
Et la possibilité de les récupérer après leurs études, avec ce qu’ils ont acquis comme connaissances n’est pas évidente car certains préfèrent rester dans ces pays à juste raison parfois. Ainsi les prévisions du pays par rapport à ses besoins en ressources humaines et ses efforts pour les satisfaire sont entamés. Il s’impose alors que l’UO soit dotée de conditions adéquates de formation afin de retenir les jeunes pour un meilleur développement de leur pays. L’ouverture des Universités Ouaga II et Koudougou sont à saluer, de même que l’ambition du pays de se doter d’autres Universités.
Il gagnerait également à mieux organiser le secteur de l’enseignement supérieur privé qui devrait être son partenaire dans la formation des hommes. Le Burkina Faso étant un pays de service, comme l’a dit le Premier ministre Tertius Zongo, l’enseignement est un secteur porteur dont il faut exploiter au maximum les potentialités.
Séraphine SOME serasome@yahoo.fr
Sidwaya