Interview : Cheick Tidiane Seck
Jazz Ouaga News : Pourquoi a-t-il fallu attendre la 15è édition de Jazz à Ouaga pour voir la première participation de Cheick Tidiane Seck ?
Cheick Tidiane Seck : Il était temps alors qu'on m'invite dans un pays qui m'a vu dans ma première enfance. Je suis né en 1953 et jusqu'en 1960 j'étais à Bobo. C'est de la-bas que mes parents m'ont pris pour aller m'inscrire à l'école à Sikasso. J'ai passé toutes mes vacances scolaires à Bobo et à Ouaga. C'est donc une partie de moi. S'il y'a après une pseudo réussite en matière de musique ou j'ai pu côtoyer les plus grands noms du monde de la musique, je le dois bien à ces moments privilégiés passé entre Diaradougou, Sikasso, Accartville, et Dapoya . Je me revendique un peu de la sous région. Quand j'ai terminé mes études au Mali, j'ai fait le « Rail Band » de Bamako, « Les Ambassadeurs » avec Mory Kanté et en 80 je suis venu avec « Bembeya Jazz » à Ouaga et à Bobo.
J O N : Comment avez-vous pu réunir tous ces musiciens talentueux qui vous accompagnent ici ?
C T D : Très facilement, parce que dans mon groupe standard avec lequel je tourne normalement, je joue aussi un rôle de formateur. Quand je forme les jeunes, ils sont ensuite pris par de grands de la musique tel Salif Keita qui leur font découvrir d'autres mondes. Moi je n'aime pas empêcher cela. Le batteur, Will Calhoun, c'est entre autre le batteur des « Living Colours », le seul groupe de Noirs à avoir vendu autant d'album que les U2 à l'époque. Il a aussi joué avec Madonna, Rolling Stone, BB King, Paul Simon et bien d'autres. Il a gardé une telle humilité. Né à Brooklyn, il vit aujourd'hui au Bronx. Mais il veut connaître l'Afrique, son Afrique. Quand je lui ai parlé de ma participation à Jazz à Ouaga, il a pris lui même son billet d'avion et m'a rejoint. Il venait de faire de la musique pour jeux vidéo (un million d'exemplaires). J'étais avec lui à Bamako il y'a deux semaines, il est allé faire çà et me rejoindre ici. Juste pour être là et jouer devant son peuple. Le petit Diarra qui joue au djembé, je pense qu'il est, dans la sous région, l'un des plus grands maîtres de cet instrument. Je l'ai vu à Bamako, ça m'a électrifié. Je l'ai approché, il m'a dit qu'il forme les gens en Europe. Je lui ai dit en plus de cela, viens jouer avec moi à Ouaga.
J O N : Vous êtes à la croisée du blues, jazz et la musique traditionnelle mandingue. Comment arrivez-vous à faire cela ?
C T D : Cela a été facile dans la mesure ou jeune dans la sous région, on écoutait tous à Bobo ce rythme. Avant qu'on m'emmène à l'école, déjà les années 60 mes grands frères écoutaient Jazz Band. J'ai ensuite été omnibulé par la musique des noirs américains. C'était ma nourriture après la tradition. A côté de tout ça j'écoutais le « warba »1, le rythme mandingue et tout ce qui est dans la sous région. Je me suis inspiré de tout ce qui est tradition africaine et américaine pour amener un autre élan dans nos folklores, dans notre musique à nous. Quand j'enseigne dans une des plus grandes universités américaines qui compte 40 000 étudiants, je leur explique comment se construit le warba, comment FELA et Tony Alain ont pu créer l' Afrobeat. C'est un peu çà mon rôle et même temps j'entends le blues dans toutes nos musiques. Quand j'écoute un morceau « wiré »2, le côté blues je l'entend parce que mon oreille a été éduquée en tant que tel. Prendre le temps d'écouter et de s'approprier les choses avant de les restituer. En général quand je restitue, je le fais avec mes mots qui constituent mon background. C'est tout ce qui m'a omnibulé et qui a créé le socle de mes débuts. Tout ce que j'ai appris ici dans mon passage au Burkina, Mali, Guinée, Sénégal. Mois je suis resté nostalgique de l'Afrique que désiraient Patrice Lumumba et N'Kruma. C'est de cette Afrique dont je rêve et non celle de la division ethnique. Moi je suis Peulh Toucouleur, mais mon meilleur ami peut être Moaga, ainsi de suite et c'est cela la force de l'Afrique que nous devons préserver. Malheureusement la part de la nationalité, du nationalisme erroné fait verser beaucoup de sang au Libéria, Rwanda et j'en passe. Il faut éviter de telles situations.
Itw réalisée par David Sanon et Mamadou Diakité
1-warba : danse de réjouissances populaires chez les mossés
2-wiré : danse exécutée pour les réjouissances populaires et certains rituels chez les mossés