L'intégralité de son discours de Gbagbo à l'AN burkinabè
Le président Laurent Gbagbo à l'Assemblée nationale burkinabè
L'intégralité de son discours
Le 28 juillet 2008, Laurent Koudou Gbagbo, le président de la république de Côte d’Ivoire a prononcé un discours historique devant la représentation nationale du Burkina Faso. Un discours que nous vous proposons en intégralité à titre documentaire vu son importance.
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale;
Monsieur le Premier Ministre;
Messieurs les Responsables des Institutions de la République du Burkina Faso;
Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement;
Mesdames et Messieurs les Députés;
Mesdames et Messieurs;
Au moment de prendre la parole devant vous, je ne puis cacher cette étrange impression de me voir moi-même dans le rôle d’un hôte en visite au Burkina-Faso. Pour moi mais aussi pour beaucoup d’ivoiriens et de Burkinabè, la Côte d’Ivoire et le Burkina sont une seule et même patrie au sein de l’Afrique de l’Ouest et cela au nom d’une longue et riche histoire politique, économique, sociale et culturelle commune.
C’est toujours avec émotion que je retrouve dans cette ville de Ouagadougou, des frères, des amis, des camarades avec lesquels nous avons tant et tant de fois refait le monde. Par delà les années qui passent, par delà les responsabilités qui sont les nôtres de part et d’autre, nos relations sont restées les mêmes. Des années nous ont mûris, évidemment. Les responsabilités nous ont rapprochés davantage, fort heureusement.
Je voudrais donc vous saluer, Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, et, à travers vous, saluer tout le peuple frère du Burkina devant ses élus pour cette invitation fraternelle à venir dans cette auguste Assemblée. Je remercie le Burkina Faso pour moi-même, mais, surtout pour la Côte d’Ivoire. Nos deux pays ne sont pas seulement des pays voisins. Nous n’avons pas uniquement une frontière en partage, nous avons aussi une histoire en partage, une économie en partage ; une culture et des hommes en partage.
Pour toutes ces raisons, rien de ce qui concerne le Burkina Faso ne peut laisser la Côte d’Ivoire indifférente, et, réciproquement. Ce qui concerne la Côte d’Ivoire, concerne aussi le Burkina. C’est de cela que témoigne la douleur ressentie de part et d’autre dans la crise survenue en Côte d’Ivoire. C’est de cela que témoigne surtout, l’implication du Président Compaoré et du peuple Burkinabé, dans son ensemble, dans le règlement de la crise ivoirienne. C’est de cela que je suis venu témoigner.
Merci de m’accueillir ici dans ce Palais de l’Assemblée Nationale, et de me donner ainsi l’occasion d’exprimer notre reconnaissance. Mais, je viens surtout prendre, avec vous, l’engagement d’ouvrir et d’explorer ensemble de nouvelles voies de notre avenir commun.
Je ne suis pas venu décrire le spectacle après l’orage, je suis venu annoncer que la tempête est passée. Je suis venu dire que le temps est venu de se mettre au travail. Remettons-nous donc au travail.
Notre génération n’a pas le droit de faiblir, au risque de faillir à notre mission vis-à-vis de nos peuples. En recevant le 28 Octobre 2007 à Abidjan, la communauté burkinabè vivant en Côte d’Ivoire, j’ai rappelé que les rapports entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso échappent à la raison parce que ce sont des rapports sentimentaux. C’est ce jour-là que j’annonçais la suppression de la carte de séjour.
La Côte d’Ivoire et la Haute Volta formaient deux colonies différentes ayant chacune son administration dans le cadre de l’Afrique Occidentale Française. C’est en 1932, que, voyant la main d’œuvre Mossi se diriger de préférence vers la Côte d’Ivoire les colons obtiennent la suppression de la colonie de la Haute-Volta.
Le territoire sera rattaché à la Côte d’Ivoire jusqu’en 1947. […].
C’est au cours de cette période qui a duré 15 ans que les mouvements migratoires entre les deux territoires ont connu une ampleur particulière et ne se sont pas arrêtés. Bien au contraire. C’est l’époque où des villages entiers sont crées pour fixer la main d’œuvre d’origine voltaïque en Côte d’Ivoire. […]
C’est aussi l’époque où les Houphouët-Boigny, Kaboré Zinda, Ouezzin Coulibaly parlaient à Paris à l’Assemblée Nationale au nom de la Haute Côte d’Ivoire et au nom de la basse Côte d’Ivoire. C’est-à-dire au nom du Burkina Faso et de la côte d’Ivoire.
C’est de cela aussi que procédera plus tard la création du Conseil de l’Entente, le 27 mai 1959. Ni le rétablissement de la Haute Volta en 1947, ni les Indépendances proclamées ici, le 05 août 1960 et en Côte d’Ivoire le 07 août 1960, n’ont rien changé fondamentalement. Les liens sociaux se sont établis. Aujourd’hui, les deux peuples connaissent beaucoup de brassages. C’est compte tenu de ces liens profonds que j’avais promis d’engager avec le Président Compaoré, les discussions et une réflexion sur la manière de redynamiser l’intégration des économies Ouest Africaines. J’ai la conviction que pour y parvenir, il nous faut renforcer davantage la coopération entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso.
En effet, il n y a pas et il ne peut y avoir d’intégration régionale qui ne s’appuie sur un pivot, sur un axe central. L’Union Européenne est bâtie autour de l’axe Paris- Berlin.
Je propose l’axe Yamoussoukro-Ouagadougou, comme pivot de la coopération au sein de l’UEMOA et de la CEDEAO.
Le disant, je ne peux exclure personne naturellement. J’appelle au contraire à donner toutes les chances à notre Union, en appelant à un projet fondé sur la base des réalités historiques et économiques incontournables.
La Côte d’Ivoire et le Burkina sont déjà reliés par une ligne de chemin de fer. Les réformes engagées par les autorités du Port Autonome d’Abidjan font désormais du Burkina, du Mali et du Niger des partenaires dans la gestion de cet outil de développement de notre sous-région.
A cela, il faut ajouter les promesses de l’interconnexion électrique, le prolongement de l’Autoroute du Nord en Côte d’Ivoire, de la construction d’un pipe-line pour l’acheminement rapide des produits pétroliers vers le Burkina et les autres pays.
Nous sommes déjà dans la construction d’une économie qui a pour vocation de sortir nos pays et nos peuples du sous-développement.
A cet égard, chacun se plaît à dire que la Côte d’Ivoire est la locomotive de l’UEMOA. Nous avons pleinement conscience de cette responsabilité. C’est pourquoi, même dans les moments de crise, nous veillons à ce que l’essentiel soit préservé. Et l’essentiel ici, ce sont les infrastructures dont dépend la vie économique, la vie tout court des populations dans tous les pays de la sous-région.
Quand la paix est troublée en Côte d’Ivoire, on s’en est bien rendu compte, c’est l’exploitation du chemin de fer qui est perturbée. Ce sont les activités de notre port commun qui sont au ralenti. C’est la misère qui s’installe au sein de nos populations. Nous avons le devoir de renforcer la solidarité entre nos pays et entre nos peuples.
Mais la solidarité doit être organisée. Fort heureusement, nous avons une pratique commune qui s’appuie sur l’expérience de la gestion de notre monnaie, le Franc CFA. Grâce à cette expérience, et malgré ses limites, nombre de nos économies savent résister aux chocs extérieurs et intérieurs.
C’est fort de cela que je soutiens que rien ne devrait s’entreprendre pour saborder la monnaie commune ni l’affaiblir. Tout au contraire, nos énergies doivent converger vers le renforcement de cet outil pour le rendre plus performant et donc plus attrayant.
Notre objectif doit être d’élargir la zone à tous les autres Etats de la sous région. Mais, dans cet espace naturel, outre le renforcement indispensable de la monnaie commune, nous avons encore des défis importants qu’aucun de nos pays ne peut prétendre affronter ni relever tout seul.
Parmi ces défis, il y en a pour lesquels le rôle de nos Parlements me semble important. Il s’agit, en premier lieu, de la question de migration à l’intérieur et à l’extérieur de notre Zone.
Certes, les mouvements migratoires à l’intérieur de notre Zone préoccupent chacun de nos Etats, mais, les mouvements de migration vers l’extérieur de la Zone doivent faire l’objet d’une attention toute particulière de notre part.
L’enjeu est de taille, car, aujourd’hui, dans la compétition ouverte pour attirer ou retenir les compétences de notre propre jeunesse, nous partons perdants. Nos jeunes choisissent de plus en plus de s’expatrier quand ils sont compétents.
Le deuxième défi concerne donc la formation. Depuis la décennie 90, nous assistons à la dégradation non seulement de l’environnement de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique mais aussi de la qualité même de la formation dispensée.
C’est une hypothèque sur l’avenir. Et, ici, comme pour les autres questions de politique commune, aucun de nos Etats ne peut prétendre s’en sortir seul. Il ne peut y avoir d’Enseignement Supérieur performant au Burkina, au Sénégal, au Togo etc., si l’Université est en crise en Côte d’Ivoire ou dans un seul de nos pays.
L’autre préoccupation pour laquelle la solidarité régionale est indispensable, concerne les pandémies. Le VIH-SIDA tue. Mais, il y a aussi le paludisme, la méningite, la fièvre typhoïde etc. Parce que la Côte d’Ivoire est un pays d’accueil, un pays de brassage de tous les peuples de la sous-région, nous mesurons l’importance d’une lutte commune contre les maladies qui peuvent rapidement se rependre dans tous les pays à partir d’un seul point.
Je n’oublie pas la question de l’Environnement et de l’Ecologie. Parce qu’elle est l’un des réservoirs forestiers de l’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire est la gardienne de l’écologie de toute la sous-région. C’est ensemble que nous devons cultiver ce patrimoine.
Une autre question, est celle de l’infrastructure et particulièrement des infrastructures énergétiques. Je voudrais en effet attirer l’attention sur l’épineux problème de la production et de la distribution de l’énergie. Nous disposons dans l’espace CEDEAO de toutes les ressources modernes de l’énergie.
Nous avons le pétrole, le gaz, l’uranium, nous avons les fleuves et pourtant nous n’avons pas d’électricité. Il nous appartient de faire de la question de l’énergie, une question essentielle du développement commun. C’est à cette condition que nous pouvons donner un second souffle à l’économie sous-régionale.
Enfin, tous les conflits que nous avons connus en Afrique de l’Ouest depuis une vingtaine d’années, ont montré l’urgence d’une politique commune en matière de sécurité.
La lutte contre la criminalité sous toutes ses formes nécessite des moyens qu’aucun de nos pays ne peut réunir tout seul. Tels sont les défis qui se présentent à nous.
La plupart de ces questions ont déjà fait l’objet de réflexions et même de décisions. Des organismes sont crées. Des hommes et des femmes sont au travail. Il reste à souhaiter que leur travail ne soit pas sans effet. Mais, au-delà des questions que je viens d’évoquer, l’actualité nous interpelle. Regardez comment nos petits Etats fragiles se démènent désespérément face à la crise alimentaire.
Cette crise pose en réalité la question de la production agricole dans la sous région. Nous ne pouvons pas durablement régler la question de la nourriture dans nos pays sans une réorganisation profonde de nos options agricoles.
J’invite nos élus dans nos institutions nationales et régionales à la réflexion sur cette question vitale. N’oublions jamais que ce que nous manquons de faire nous-mêmes, sera un danger pour nous-mêmes, car il ne se trouvera personne pour faire à notre place ce qui relève de notre responsabilité directe.
Vous êtes les Représentants de nos peuples. Vous êtes aussi les garants de notre avenir commun. Je compte sur vous.
Que Dieu bénisse le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire.
Que Dieu bénisse notre coopération commune.
Que Dieu bénisse l’Afrique.
Je vous remercie.