Me Hermann Yaméogo parle : Salif Diallo, François Compaoré et la refondation
Me Hermann Yaméogo parle : Salif Diallo, François Compaoré et la refondation
- Me Hermann Yaméogo
Depuis quelques semaines, le Burkina est en ébullition. Les Burkinabè sont partagés entre la crise de la vie chère et les frémissements du landerneau politique où il est désormais question de refondation. Nous avons donné la parole à l’une des figures de ce projet de refondation, Hermann Yaméogo, le président de l’UNDD. Il fait le point des rencontres que le groupe des refondateurs a organisées avec les acteurs sociaux et politiques de la vie nationale, et se prononce sur la pertinence de leur projet. Il commente également le départ de Salif Diallo et la possible mise en orbite de françois Compaoré et de la FEDAP-BC.
"Le Pays" : Depuis que l’idée de la refondation a été lancée, quel accueil les Burkinabè lui ont-ils réservé ?
Me Hermann Yaméogo : Pour dire vrai, j’ai rarement vécu une telle adhésion à un concept. Tenez, pour "vendre" l’idée, nous n’avons même pas eu besoin de marches, de grands meetings. Comme une traînée de poudre, dès publication, notre proposition s’est répandue dans tout le pays. Des appels pour que nous venions nous en expliquer, nous en recevons depuis quotidiennement. C’est un signe, voyez-vous, qui ne trompe pas.
La tournée d’explication a-t-elle eu les résultats escomptés ?
Nos tournées ont eu plus que les résultats escomptés. La raison est simple : la refondation correspond à une attente nationale. Elle est arrivée à un moment de défiance générale grandissante vis-à-vis des institutions, de leurs animateurs, et d’interrogations sur le "comment s’en sortir". Avec la crise internationale qui s’est mise de la partie, comme au Niger, beaucoup se demandent même si nous ne devrions pas chercher de démocratie à notre pied. Ce ne sont plus les dirigeants qui sont vus comme des prédateurs ; ce sont aussi tous ceux qui, de la majorité ou de l’opposition, animent les institutions ; ce sont les partis, les syndicats, les mouvements de droits de l’homme, les associations, bref, c’est tout le système qui résulte du type actuel de gouvernance. Ce sentiment que nous avons rencontré partout explique largement le besoin de réévaluation, de refondation de notre gouvernance nationale pour sceller un nouveau contrat social.
Dans quels secteurs avez-vous le plus ressenti ce besoin de refondation ?
Il n’est pas ce secteur dans lequel on nous ait dit, en nous recevant, "non messieurs, merci beaucoup, votre refondation, on n’en a pas besoin ; chez nous, ça va ". Aujourd’hui, l’expression en vogue d’ailleurs au Burkina Faso, c’est "ça ne va pas !", et quand ça ne va pas, on veut quoi, sinon que ça aille, que ça change ?
A la Justice, par exemple, nous avons rencontré des magistrats qui nous ont fait des confessions terribles et informé qu’ils avaient déjà une requête introduite en vue de la refondation de leur maison auprès de qui de droit. C’est dire à quel point ils sont partants pour notre proposition qui appréhende la refondation dans ses dimensions globales et nationales ! Au niveau de la Santé, nous avons rencontré l’Ordre des médecins. Si jamais un dialogue était accordé et qu’il soit entouré de toutes les garanties, on en entendrait, certes, des vertes et des pas mûres, mais l’opinion serait édifiée de savoir que la santé regorge de compétences capables de définir une politique endogène et prospective qui donne une autre image de la santé, mais qui lui donne surtout la place qui devrait être la sienne dans le rang des préoccupations gouvernementales. Au CNRST, nous avons été étonné d’apprendre combien était active la recherche fondamentale et combien existaient de possibilités d’applications technologiques dans le domaine de l’agriculture. Tenez-vous bien : le Burkina se situerait en Afrique, dans ce domaine, quasiment après l’Afrique du Sud ! Mais où sont les soutiens, les politiques accompagnatrices ? Un débat national serait le bienvenu également à ce niveau. Dans les régions, nous avons été édifié par les critiques sur les faiblesses de la politique de décentralisation, sur les déséquilibres de la couverture du territoire national par l’administration et par les interventions étatiques. Nous avons touché du doigt les récriminations sur les disparités qui constituent un terreau favorable à la régionalisation négative, et mieux apprécié les mises en garde à cet égard de Christian Koné. La refondation, là également, apparaît même comme d’ordre public ! Bref, dans tous les secteurs, l’enseignement, la politique agricole qui revient en force à la faveur des circonstances au-devant des politiques…, c’est la même chose.
L’opposition parlementaire ne semble pas emballée par votre projet, ainsi que certains partis de la mouvance. Savez-vous pourquoi ?
Nous savions, avant de lancer l’idée, qu’elle aurait des contredisants. Le type de gouvernance que nous dénonçons a ses fidèles, ceux qui n’ont de raison d’être que par lui. Ils n’aimeraient pour rien au monde qu’on cherche à le mettre à plat. Il y a aussi, cela ne peut jamais manquer sinon le Burkina ne serait plus le Burkina, à considérer les préventions de ceux qui estiment que l’idée ne venant pas d’eux, ne vaut pas la peine d’être défendue. Et puis, le fait d’en appeler à une concertation, par-delà la représentation nationale, peut apparaître comme déconsidérant pour certains éléments de la majorité parlementaire. Pourtant, si le maître-mot en démocratie doit revenir au peuple, ça ne devrait pas être le cas !
Le fait que l’initiative vienne de partis extraparlementaires n’est-il pas un handicap ?
Je n’ai nulle part observé que le fait d’être un parti extraparlementaire soit un handicap pour lutter et défendre les intérêts du pays. Sinon Olivier Besançenot en France n’aurait pas cette pêche à faire pâlir de jalousie les Ségolène Royal et autres François Bayrou, ou bien ? Mais je confesse que les commentaires de certains d’entre nous sur les conditions de l’élection de cette assemblée et sur la pâle représentation qui y est accordée à l’opposition, puissent froisser. Ce d’autant que depuis la confession courageuse faite par Salif Diallo au sujet de cet acharnement à réduire certains partis politiques, ceux qui, comme nous dénions à l’Assemblée sa légitimité, sont confortés.
Que répondez-vous à ceux qui vous traitent d’anciens collaborateurs de Blaise Compaoré en quête d’une seconde jeunesse ?
Je n’insisterai pas sur la connotation intentionnellement péjorative, bête et méchante de ceux qui parlent ainsi. Je répondrai seulement à l’attention des mal informés que la collaboration peut avoir des motivations plus nobles. Dans ce sens, nous ne l’avons pas inventée.
Elle s’est toujours imposée dans les collectivités humaines organisées à chaque fois qu’il s’est agi de faire passer l’intérêt général avant l’intérêt particulier. Je ne vous rappellerai pas comment, en misant sur le consensus, des pays comme l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne… ont su se reconstruire après la Seconde Guerre mondiale, et opter pour des systèmes de gouvernance qui, jusqu’à nos jours, constituent des références. Aujourd’hui, des personnalités aussi éloignées que Sarkozy, Royal, font de la participation - même avec des approches différenciées - des choix politiques. Wade, Odinga, entre autres, ne seraient pas aujourd’hui ce qu’ils sont s’ils n’avaient pas su miser sur ladite collaboration.
De toutes les façons, que ceux qui ont ces critiques faciles du genre "les refondateurs se sont contredits et opposés par le passé ; ils sont de courants idéologiques différents ; ils ont participé à des gouvernements de Blaise Compaoré, et patati et patata", comprennent qu’ils jouent à découvert. S’ils se repaissent de ces clichés éculés, c’est parce qu’ils sont à cours d’arguments, de contre-propositions crédibles ; ce qui peut aussi gêner, c’est que parmi les refondateurs, il y a des politiques qui, ne font pas que de la représentation. Des politiques qui, s’ils ont su, face à l’adversité, défendre leurs idées, n’ont pas aussi manqué à l’occasion d’avoir des solutions pour aider à préserver le pays de graves périls. Le peuple aujourd’hui, malgré les artifices persistants pour lui cacher cette réalité, en a maintenant amplement conscience.
Mais vous savez, quête de seconde jeunesse pour quête de seconde jeunesse, c’est au contraire les refondateurs qui donnent l’occasion à la nation, à travers leur proposition, de se faire une nouvelle jeunesse !
La raison fondamentale de la refondation est-elle politique ou économique ?
Je vous dirai tout simplement qu’elle est à la fois politique, économique, sociale, culturelle… Elle part du constat que les problèmes du pays sont tels qu’il faut impérativement procéder à la relecture de la gouvernance nationale. Elle n’est pas une revendication limitée à un secteur ou à quelques-uns mais à tous les niveaux de la nation. Quand on a compris cela, on a compris la refondation !
Pourtant, les mauvaises langues vous accusent de vouloir utiliser la crise de la vie chère pour une opération politique ?
La médisance, c’est l’arme des faibles. Laissons les mauvaises langues persifler, saliver ! Sachez seulement que cette question de la refondation a des racines plus profondes que la vie chère qui nous accule en ce moment.
Pour ne m’en tenir qu’au Front populaire, c’était déjà ma préoccupation quand j’invoquais "un supplément d’âme pour une démocratie consensuelle". ça fait mine de rien, 20 ans ! Je suis resté sur la même lancée lorsqu’en 1996, après avoir visité les sièges de bien de partis politiques, je convoquais une réflexion portant sur l’internalisation de notre démocratie à Kombissiri. Il est des collaborateurs immédiats du chef de l’Etat, comme Gabriel Tamini, que j’ai consulté pour la rédaction d’un ouvrage non publié sur la démocratie consensuelle, Assimi Kouanda avec lequel dans les années 60 nous jouions au football, qui peuvent témoigner de la permanence de mon attachement à cet idéal. En 2005, le même souci est revenu avec ce slogan de l’UNDD : "Le refus fondateur." Après les "élections exécution" de 2007, quand le découragement était au plus haut, avec des responsables du parti, j’ai dit que lorsqu’on nous avait fait toucher le fond, on ne pouvait que remonter et proposer de se battre pour la refondation. Les Dabo Amadou, les Salif Ouédraogo, les Bambara Martin, les Deval Milogo… ont suivi, et petit à petit, nous nous sommes mis en train.
La vie chère, en plus d’autres évènements tels que les émeutes récurrentes que vous connaissez, est venue confirmer nos prises de position et nous donner raison de nos dénonciations.
C’est vrai qu’un esprit objectif ne peut pas occulter l’impact des chocs exogènes dans la cherté de la vie, mais nous sommes persuadés que si l’on avait pris un peu plus tôt en compte nos demandes d’ajustement de la gouvernance aux niveaux politique, économique, on aurait pu être en mesure d’en atténuer, avec de meilleurs résultats, les contrecoups.
Quelle place accordez-vous aux travaux des commissions parlementaires sur les réformes au niveau politique et en matière électorale ?
Nous avons pris le soin de dire que nous n’étions pas contre les travaux qui se menaient à l’Assemblée autour des questions liées à la vie chère et des réformes portant sur le code électoral. Ceux qui ont le plus lutté pour en arriver là, je vous le rappelle, sont encore parmi les refondateurs. Si Soumane Touré et moi ne nous étions pas retrouvés au moment où le Collectif était en difficulté pour lancer le concept des réformes politiques et institutionnelles, reprendre quasiment article par article le Code électoral, on n’aurait pas eu en 2002 cette assemblée qui, jusqu’aujourd’hui, fait rêver malgré les imperfections ! En 2005, la coalition qui me soutenait avait élaboré un mémorandum, tout ce qu’il y a de complet sur les mesures à prendre au niveau des réformes politiques et en matière électorale. Il a été remis partout, et Dieu seul sait combien on a lutté pour que des avancées aient lieu, mais pas une seule mesure n’a été acceptée. A chaque élection, depuis, nous avons relancé les autorités. En vain. Aujourd’hui, on parle de réformes du Code électoral à l’Assemblée : si ce n’est pas du cynisme, c’est le médecin après la mort ! En effet, encore en rappel, nous sommes de ceux qui ont le plus lutté en son temps pour éviter que le pouvoir revienne sur le consensus qui avait été à la base des réformes politiques et institutionnelles mises en œuvre par le gouvernement protocolaire. Mais tout le monde l’aura compris, il fallait en ce moment révoquer unilatéralement ces acquis pour réaliser le passage en force, le "Tuk guili", et surtout écarter de l’hémicycle ceux qu’on ne voulait pas y voir.
C’est immoral, maintenant que le mal est fait, de venir après coup pour remettre les pendules à l’heure sans au surplus en tirer toutes les conséquences logiques, à savoir la réparation pleine et entière des révisions pirates entreprises en mettant en perspective une remise à plat pour une redistribution des cartes.
Pour autant, nous ne sommes pas contre ces réformes. Nous disons seulement qu’ elles devraient s’insérer dans un cadre plus général et consensuel, comme l’a relevé le CEDEC (…). Je pense que, dans le cadre du dialogue inclusif, on aurait pu enrichir la démarche et surtout obliger pareillement tous les participants vis-à-vis des mesures qui en sortiraient !
Pour vous, on aurait donc gagné à attendre ?
Ce que je dis, c’est que nous sommes à un moment où il faut donner le plus possible la parole à tous. C’est cette observation que nous avons faite pour la lutte menée par les syndicats et la Coalition contre la vie chère en souhaitant qu’ils s’approprient la question de la refondation qui pourrait déboucher sur des résultats soutenables pour tous, notamment en matière sociale.
N’êtes-vous pas en train de provoquer la naissance d’une cinquième République ?
Une constitution ne peut être tenue pour la Bible, pour le Coran, intangibles à jamais parce que vérité révélée. Elle n’est que le reflet, à un moment donné, des réalités politiques, économiques, sociales, d’un pays. Lorsque les données de la vie évoluent dans une nation démocratique, elles gagnent à être répercutées dans la loi fondamentale. C’est pour cela, du reste, que dans bien de démocraties, il y a des 1re, 2e, 3e ... Républiques. Si en cas d’acceptation de la refondation, la nature des échanges préconisait de revoir les fondamentaux de la gestion de notre pays pour les conformer aux nouvelles évolutions, et estimait qu’il faille sortir du cadre de la IVe République pour aller dans une Ve République, il n’y a vraiment pas de quoi se fâcher au point de jouer à l’intégrisme !
L’évaluation à intervalles réguliers des institutions d’un pays est un signe de bonne gouvernance. Beaucoup se demandent aujourd’hui s’il ne faut pas évoluer vers un régime présidentiel de type américain, d’autres préconisant d’aller vers le régime parlementaire pur. Plus généralement, se pose le problème de la soumission de la décision au contrôle. C’est vous dire qu’il ne s’agit pas seulement de ravaler la façade de nos institutions mais de les revoir de fond en comble. Si aujourd’hui, la France de Sarkozy en est à réformer les institutions fétiches de la Ve République, ce n’est pas nous qui avons copié/collé la Constitution française qui ne devrions pas nous poser la question d’une réelle conformation de notre Constitution à nos réalités propres.
Mais la préoccupation de l’heure n’est pas là : elle se trouve dans la demande d’un dialogue refondateur républicain et inclusif pour parler des problèmes du pays qui nous concernent tous, et trouver des solutions courageuses qui nous permettent, face à nos défis majeurs, de tenir la tête hors de l’eau.
Croyez-vous que le parti majoritaire sera prêt à vous suivre dans cette voie ?
Cela peut étonner mais nous n’avons pas senti ce que nous craignions au niveau du parti majoritaire et de ses dirigeants : une opposition farouche. Qu’il s’agisse du président de l’Assemblée nationale, du groupe parlementaire CDP ou du parti majoritaire lui-même, au-delà des civilités et convenances politiques dont nous ne sommes pas dupes, nous avons senti (une fois affirmée la préoccupation de maintenir et de défendre les institutions) une ouverture vers le dialogue. Parfois même, les choses ont été si détendues que nous avons eu droit à des critiques franches et même à des suggestions pour obtenir plus d’écoute et d’adhésion à notre proposition. Ce que j’ai lu par ailleurs, du président du groupe parlementaire CDP, Mahama Sawadogo, sur la question dans la presse, me convainc que les portes sont loin d’être fermées.
Il faut dire du reste que dans le parti majoritaire, souffle aussi un vent de rénovation qui, quelque part, n’est pas sans emprunter aux motivations de la refondation.
Maintenant, quant à nous suivre effectivement, on espère que le parti le fera. Il est, ne l’oublions pas, comme on dit, le maître du jeu, mais du coup aussi celui qui doit au premier chef rendre des comptes sur la gestion du pays, sur le mandat qui lui a été confié. C’est au CDP d’être grand seigneur, d’accepter de descendre de son piédestal parce que, finalement, la refondation est un moindre mal. Je pense même que Blaise Compaoré, saisi de notre requête, gagnerait à la valider. Elle n’est au fond que l’aboutissement de cette rectification diplomatique qu’il a initiée au plan sous- régional, notamment à travers des opérations de médiation. Avouez que le travail aurait un goût d’inachevé s’il n’aboutissait pas à transposer en interne ce qu’il fait en externe.
Pourquoi dites-vous que la refondation est un moindre mal ?
Je le dis parce que dans la situation que nous vivons, il y en a qui estiment qu’il vaut mieux laisser les choses pourrir et qu’après, on verra bien ce que ça va donner, comme il y en a qui soutiennent que le fruit est déjà mûr et que, pour n’avoir pas accepté l’alternance pacifique, celle violente est à portée de main.
Nous, nous ne voulons ni attendre pour voir ce que le pourrissement va exhaler comme senteur, ni nous en remettre au coup de force pour goûter la saveur du fruit. Il y a dans les deux cas, une aventure grosse de tous les dangers, un jeu de roulette russe qui ne nous fait pas du tout fantasmer.
La refondation, qui suppose des réajustements, des renoncements, est une pilule, certes, difficile à prendre, mais elle sera en l’occurrence bien moins amère à avaler. Le CDP devrait s’en faire même le porte-flambeau auprès du chef de l’Etat qui, j’en suis persuadé, après 20 ans d’exercice du pouvoir dans les conditions que l’on sait, devrait avoir pour souci principal de mettre l’ordre dans la maison.
Comment se passe la cohabitation dans la grande famille des refondateurs ?
En tout cas, l’atmosphère est positive et studieuse. C’est vrai qu’avec un assemblage d’hommes expérimentés au tempérament fort, comme Alain Zoubga, Touré Soumane, Christian Koné, Ram Ouédraogo, et j’en passe, les entretiens sont parfois toniques, mais, comme par ailleurs, il y a des hommes tout aussi expérimentés, médiateurs-nés, comme Cyril Goungounga, Clément Dakio, Yacouba Touré, Docteur Jean-Marie Sanou, on finit toujours par atteindre le point d’équilibre.
J’en profite pour dire que nous vivons avec un certain enthousiasme cette rencontre autour de l’intérêt national d’éléments venus d’horizons divers qui, par le passé, se sont entrechoqués. Elle nous a permis de lever certaines incompréhensions entre nous, de mieux accepter nos différences mais surtout de nous donner en exemple sur la possibilité qu’il y a pour les acteurs politiques de démentir l’opinion négative qu’on a de leurs prestations et plus généralement de la politique. Et comme nous l’a dit un leader syndicaliste au cours d’une rencontre avec les Centrales, la refondation dans sa démarche est réhabilitante pour la politique et le politique.
Votre commentaire sur l’éviction de Salif Diallo ?
Je me suis déjà, à plusieurs reprises, exprimé sur l’homme à des époques où l’on était loin de pouvoir imaginer qu’il puisse un jour être limogé.
Bien qu’ayant été, comme on le sait, un de ses ennemis préférés, je n’ai jamais à ce point privilégié mes rancoeurs, mes soucis de revanche politique pour glisser dans la haine et lui méconnaître le courage, le flair politique, la responsabilité d’avoir été le bâtisseur en chef du pouvoir de Blaise Compaoré. Je n’ai jamais varié sur ce jugement puisque c’est celui qui a été encore le mien lorsqu’on m’a demandé de réagir après la mesure qui l’a frappé.
Que le coup soit dur pour lui et ses partisans, je suis bien payé pour le savoir ! Le pouvoir lui-même n’en fait pas mystère qui estime à l’occasion nécessaire de lui reconnaître des mérites, comme pour atténuer les choses. Je dirai cependant que si on veut qu’à quelque chose malheur soit bon, que cette éviction serve au moins quelque peu, il faut œuvrer à rendre ses lettres de noblesse à la politique, au système de la représentation, qu’elle concerne les organes d’Etat élus, les partis politiques, les structures de la société civile passablement dévoyées à leur tour au point qu’on a peine à y reconnaître qui est qui. Il faut réhabiliter la démocratie, travailler pour démailloter tout ce qui a été fait pour que s’affaissent à ce point les vertus morales et civiques, car la voie prise pour construire le régime Compaoré fait que, de nos jours, on ne respecte quasiment plus rien dans ce pays. Aucun interdit ; la corruption a gangrené tous les secteurs d’activité, devenant même pour l’enfant qui rentre au CP1, un critère valorisant. L’effort, le mérite, le travail, ne sont plus gratifiés : seul compte l’art du "deal" ! Notre Constitution est devenue un chiffon de papier. ça a aidé le temps que ça a pu, mais maintenant, ça n’aide plus !
Et je peux comprendre qu’après 20 ans à la tête de l’Etat, Blaise Compaoré puisse en venir, par moments, malgré tout, à se demander : "Tout ça pour ça !" C’est vrai qu’il y a eu des acquis, que des choses ont été réalisées, mais quand on voit à quel point nous sommes en train de manger notre blé en herbe, on peut se demander si on n’aurait pas pu faire les choses d’une autre façon, si de cette stabilité, énorme capital au demeurant dont on se targue tant, on n’aurait pas pu faire un autre usage.
En quoi faisant par exemple ?
En réhabilitant, je persiste, la démocratie, la Constitution, les règles du jeu à tous les niveaux, en mettant fin à la surconcentration et à la surmonopolisation du pouvoir, à l’inféodation de la Justice à l’Exécutif, à l’emprise du secteur politique sur le secteur économique via les prête-noms et, bien sûr, en s’activant à combler la fracture sociale et nationale.
C’est vrai qu’on a mis le prix pour renforcer les assises politiques, financières, médiatiques, relationnelles, de l’équipe dirigeante, qu’on en est arrivé, comme on dit, au "Tuk Guili" dans toute l’acception du terme, mais encore une fois, où en est-on au jour d’aujourd’hui sinon qu’à une indigestion à force de goinfrerie, à une occlusion intestinale ? Il n’est jusqu’à la décentralisation démocratique, lancée sur des chapeaux de roue, qui ne provoque des vomissures un peu partout tellement elle a été mal ingurgitée.
Voyez vous-même, au moment où cela remonte en surface, la seule solution, c’est la remise à plat et non pas la fuite en avant. Si l’on avait le courage de cette option pendant qu’il est encore temps, certaines mesures, comme celle prise à l’encontre de Salif Diallo, n’auraient pas été vaines.
La Fédération des associations pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (FEDAP/BC) fait l’objet de beaucoup de conjectures actuellement. Croyez-vous qu’elle puisse se muer en parti politique ? Son parrain supposé, François Compaoré, vous semble-t-il dans le costume d’un futur président ?
Pour vous parler franchement, la FEDAP/BC pour moi était inscrite dans l’ordre des choses. J’ai observé comment le pouvoir de Blaise Compaoré s’est construit autour de quelques hommes à tout faire. J’ai vu comment ils ont taillé des croupières dans le secteur politique, administratif, économique, militaire, diplomatique, jusqu’à dévier du processus de nationalisation des institutions inscrit dans la loi fondamentale, vers une certaine forme de privatisation de l’Etat. Ils sont aujourd’hui devenus si puissants qu’ils constituent une menace pour lui. Pour colmater les brèches, préserver les acquis, re-nationaliser l’Etat, ne pas compromettre le futur, la FEDAP/BC, à défaut de mieux, se devait de naître à mon sens.
Mais maintenant, vous me demandez si la structure peut se transformer en parti. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, comme dirait l’autre. Une fois que la FEDAP/BC aura fait le ménage jusqu’au niveau des militants de base, elle peut survivre à côté d’un CDP relooké dans lequel on aura renouvelé les fidélités. Elle peut aussi décider de laisser le CDP à ses occupants et créer à ses côtés un autre parti politique ou, tant qu’à faire, se muer elle-même en parti politique, histoire de montrer que depuis l’ODP/MT, il n’est de parti véritable dans la majorité qu’attaché à la personne de Blaise Compaoré. Aux autres d’oser sortir du bois pour créer leur propre parti.
Quant à François Compaoré dans le costume d’un président, jusqu’à preuve du contraire, il n’est pas sous le coup de peines infamantes et restrictives portant sur ses droits civiques et politiques ou d’empêchement constitutionnel pour postuler, mais je ne suis pas sûr qu’il puisse être au plan politique, le pari gagnant, celui recommandable. D’ailleurs, je serais tenté de croire (mais je peux, j’insiste là-dessus, me tromper) qu’il s’agit là beaucoup plus d’une contre-publicité, de rumeurs savamment orchestrées que d’intention réelle. Je suis convaincu que François Compaoré peut mieux servir son grand frère à d’autres niveaux et que ce dernier, grand connaisseur des hommes et de son petit frère, doit en être le premier conscient.
Que faire si votre demande est refusée ?
Si la refondation, que nous considérons comme un moindre mal, est rejetée, nous en référerons d’une façon ou d’une autre, à tous nos consultés et à l’opinion pour qu’ils nous en donnent acte ! Comme on n’a pas manqué de nous le dire au cours de nos sorties, nous aurons au moins la conscience tranquille de n’être pas resté inactifs face à cette crise structurelle et d’avoir fait une proposition responsable et patriotique.
Propos recueillis par Abdoulaye TAO
Le Pays