Militaires réhabilités : Spectaculaire rebondissement d’un dossier
Militaires réhabilités : Spectaculaire rebondissement d’un dossier
lundi 5 mai 2008.- Colonel Karim Lompo
Ce n’était donc pas fini ? On l’avait pourtant cru depuis que le Pasteur Freeman Compaoré avait fait connaître le dernier mot du gouvernement sur la question : " les cas des militaires ne relèvent pas de la violence en politique ". Nous avions en son temps titré : " Droits bafoués pour 332 militaires ", un article dans lequel nous expliquions la galère de ces hommes dont bon nombre d’entre eux traînaient leur fardeau depuis plus de 20 ans.
On le sait, l’armée burkinabè n’est pas un lieu de tolérance, en particulier en politique. Il suffit de parcourir la liste des carrières reconstituées pour le comprendre : militaires du régime Lamizana, hommes du CMRPN, du CSPI et II, militaires révolutionnaires, victimes des clans au sein du Front populaire et que sais-je encore, tout ce monde s’est retrouvé à chaque tournant de l’histoire de l’armée et du pays frappés de bannissement. Alors que le 30 mars 2001, dans un élan de catharsis, le pays avait décidé de passer l’éponge sur ce passé, il y avait, au sein de l’armée, comme un refus d’accepter cette évolution tant souhaitée. Par contre, la situation des civils avait été mieux gérée puisque chez eux la réhabilitation s’était accompagnée d’une reconstitution de carrière avec au bout des indemnisations financières.
Pour de nombreux militaires, les choses étaient tout autre. Ceux qui ont été brimés dans leur carrière ont continué de traîner ce handicap jusqu’au récent décret. Tels des poissons hors de l’eau, ces hommes avaient perdu tout moyen. Ceux qui sont restés dans l’armée n’avaient pas les moyens de se faire entendre, et hors de l’armée, les organisations civiles qui étaient à la pointe du combat se méfiaient d’eux, les tenant en partie pour responsables de cette descente générale aux enfers qu’a connu le pays. Après avoir un moment côtoyé l’ALDRO (l’association créée pour défendre les dégagés et retraités d’office), certains ont préféré porté leur propre croix. Une dynamique naissait ainsi avec notamment l’écriture d’un mémorandum sur la situation des militaires. Ce document fondamental servit de base de travail au Collège de sages dont les recommandations favorables furent reprises pour l’essentiel par le chef de l’Etat sous forme d’engagement.
Le parcours rocambolesque du dossier
Le comité dirigé par le pasteur Freeman qui hérita du dossier l’avait déclaré recevable selon le jargon consacré. Il l’aurait instruit dans un sens favorable et transmis à l’exécutif pour décision. Après quelques années de silence, silence dont on comprend aujourd’hui les raisons, le conseil des ministres finit par trancher. C’est non. La requête des militaires fût rejetée sans motivation. C’est du reste ce qu’a laissé entendre l’homme d’église. Acculé par les militaires, le pasteur est contraint d’avouer qu’il a demandé au gouvernement de motiver sa décision. Depuis lors, il demeurait introuvable. Le hic dans l’affaire, c’est qu’il n’y a pas non plus trace de la décision dans le compte rendu du conseil des ministres en question. Ni dans aucun autre. Que s’est-il donc passé ? Mystère et boule de gomme.
On sait en revanche que des hommes de la hiérarchie militaire se sont opposés dès le début à la reconstitution des carrières qu’ils percevaient comme un danger pour eux. Dans un premier temps, ces derniers se battaient autour d’une interprétation restrictive de l’ordonnance du CMRPN sur les avancements des militaires, arguant que ceux-ci ne sauraient être automatiques, comme si on était dans une situation normale. Quand ils se rendirent compte que ces arguments ne pouvaient guère prospérer, ils changèrent le fusil d’épaule. Le nouveau ministre en charge de la Défense, Yéro Boly, harcelé par les responsables du comité veut se donner les moyens de comprendre la situation. Il ordonne la mise en place d’une commission. Celle-ci ne se contente pas de l’instruire sur le dossier. Elle avance des solutions alternatives.
Le ministre dira plus tard que s’il avait vu le mémorandum avant, il n’aurait pas eu besoin de commander une commission. La manœuvre a donc consisté à le garder dans l’ignorance du document dans l’espoir peut-être de l’influencer. Mais les propositions de la commission dirigée par le colonel Dominique Diendéré sont sans ambiguïté. Une d’elles emporte leur préférence. Celle-ci préconisant que l’avancement des militaires se fasse tous les cinq ans. Elle avait l’avantage selon eux d’être plus conforme à l’esprit et à la lettre de l’ordonnance de 1991. Elle traduisait en sus bien mieux, la recherche de la cohésion au sein des forces armées. Rappelons que l’ordonnance de 1991 clarifiait la base de la reconstitution de carrière : " la période d’éviction ou l’éloignement de l’administration ou de l’emploi est comptée comme temps de service effectif en ce qui concerne l’avancement ou le droit à la retraite."
Les adversaires de ce texte n’en démordirent pas pour autant. Ils seraient allés jusqu’à Ziniaré pour rencontrer le chef de l’Etat. Ce dernier, prudent, les aurait renvoyé à leur ministre Yéro Boly. Ce qu’ils firent en effet. Mais Yéro, en bon administrateur civil, leur demande des propositions écrites. Sachant que la reconstitution est irréversible, ils vont assouplir leur position. L’opposition n’est plus farouche, mais va désormais porter sur la durée prise en compte pour l’avancement. Ils suggèrent 6 à 7 ans, au lieu de 5 ans. Derrière cette proposition, il faut voir la crainte que les nouveaux promus ne puissent se retrouver au même niveau qu’eux, s’ils ne les dépassent pas ! Voilà pour la mesquinerie ! Ainsi va le Burkina. Le reste relève de l’intox. Et on en distille à fortes doses. Depuis que la nouvelle des reconstitutions des carrières est tombée, Ouagadougou bruit de toutes sortes de rumeurs : ça va chauffer, entend-on dire. Ce sont des opérations politiques, et l’armée n’est pas d’accord ! Boly Yero a tranché, après avoir examiné toutes les propositions en présence.
A priori, il l’a fait en bonne intelligence avec le chef de l’Etat. Sans doute, y a-t-il eu des arrières pensées politiques dans cette décision. Cela ne saurait être l’essentiel. L’essentiel, c’est qu’une injustice a été réparée. Il est parfaitement de bonne guerre, que Blaise cherche à en tirer un avantage politique. Tant pis si la mesure menace des positions acquises. Mais il ne faut pas crier trop tôt victoire. Les hostilités risquent de se déplacer sur le volet financier, très délicat par ces temps de crise. Quelle forme prendra ce nouveau round ? Refus de payer ou trop grande atomisation des paies ? Rien ne peut être exclue. Les listes comportent cependant des omissions. Le comité de pilotage du dossier dont on imagine l’immense soulagement est allé remercier Yéro Boly le 17 avril dernier.
Ouvert et disponible, le ministre s’est montré prêt à examiner le cas de ces oubliés et aurait même demandé la collaboration du comité dans ce sens. Parmi les réhabilités, il y a de nombreux disparus. Mamadou Sanfo est de ceux-là. Il avait fait la réflexion suivante devant la lenteur du dossier : "C’est pour nos ayants droit que nous nous battons. Pour nous, ce serait trop tard quand viendra le bout." C’est vrai en ce qui le concerne et peut-être pour bien d’autres aussi d’ici le bout du bout, mais la joie était grande dans les rangs des militaires longtemps frustrés lorsque le 5 avril dernier, leurs camarades du comité leur annoncèrent la nouvelle au cours d’une assemblée générale.
Les textes qui réhabilitent
Deux groupes de militaires sont concernés par les reconstitutions de carrière. Il s’agit des sous officiers et des officiers. En ce qui concerne les deux groupes c’est un texte unique qui les réhabilite : le décret N° 92-265/PRES/FP/MA du 06 octobre 1992 qui lui-même est une application de l’ordonnance N°91-080/PRES du 30 décembre 1981 portant réhabilitation administrative. Les présentes reconstitutions de carrière se fondent pour les sous officiers sur l’arrêté N° 2008-079/DEF/CAB du ministre de la Défense et pour les officiers sur le décret N° 2008-144/PRES/PM/DEF portant reconstitution de carrières d’officiers réhabilités des Forces Armées Nationales. En voici un extrait concernant les officiers promus au grade de colonel
L’Evénement