Mme Jamila Souley Kaka, épouse de Moussa Kaka : "Mon mari n’a pas vendu son pays"
Mme Jamila Souley Kaka, épouse de Moussa Kaka : "Mon mari n’a pas vendu son pays"
vendredi 4 juillet 2008.Journaliste et épouse de notre confrère nigérien, Moussa Kaka, Jamila Souley Kaka est présente à Ouaga comme invitée du festival Ciné droits libres. Pour elle, il n’y a pas de doute, la justice nigérienne fait de son mieux pour le libérer parce qu’il n’a rien fait. Mais, le pouvoir ne veut pas en entendre parler..."Le Pays" : Cela fait bientôt 10 mois que votre époux, le journaliste Moussa Kaka, est embastillé. Comment vivez-vous cette situation ?
Jamila S. Kaka : Vous pouvez tout de suite l’imaginer ; ce n’est pas du tout aisé. C’est très difficile à supporter : depuis le 20 septembre 2007, Moussa Kaka est en prison et jusqu’à présent, on ne sait pas ce qu’il a fait pour mériter un tel traitement. Le premier juge d’instruction qui avait son dossier avait jugé que les écoutes téléphoniques étaient illégales, un mois après son arrestation, et ne pouvaient constituer des preuves. A cause de cela, le gouvernement avait jugé qu’il était incapable de gérer le dossier de Moussa. On le lui a donc retiré et il a été remplacé par le doyen des juges, plus compétent que le premier, selon eux. Celui-ci a voulu que Moussa réponde par rapport aux écoutes. Son avocat a estimé que du moment où elles étaient illégales, il ne devait pas s’expliquer. Et il a amené l’affaire au niveau de la Cour suprême qui devait dire si oui ou non, ces preuves pouvaient être remises dans le dossier. L’avocat avait l’espoir qu’elles seraient rejetées. Malheureusement, la Cour suprême a estimé que Moussa Kaka devait répondre par rapport aux écoutes devant le doyen des juges. Ce qui fut fait par mon époux en présence de ses avocats, le Malien Me Konaté, le Français Me Bourdon et le Nigérien Me Coulibaly. Un mois plus tard, le doyen des juges a donné la liberté provisoire à Moussa Kaka. Quelques heures après (le 23 juin dernier), le procureur a fait appel pour dire qu’il n’est pas d’accord avec la décision. C’est pourquoi il a été remis en prison.
Sur l’affaire Moussa Kaka, la presse nigérienne est divisée ; certains estiment qu’il était en fait le chargé de communication des rebelles. Comment réagissez-vous à cela ?
Vous savez, les gens racontent ce qu’ils veulent. En tant qu’épouse de Moussa Kaka, j’ai eu accès aux écoutes téléphoniques. Il n’y avait rien qui puisse prouver qu’il a vendu son pays ou qu’il a pris de l’argent pour fournir des informations aux rebelles. Il a toujours communiqué avec les rebelles depuis 16 ans. C’est le seul qui a pu accéder là où les rebelles se trouvent actuellement au Niger. C’est normal que les gens lui en veulent. Je suis sûre que si tous les journalistes nigériens pouvaient faire ce que Moussa a fait, ils n’hésiteraient pas. Mais cela n’est pas donné à tout le monde.
Est-ce qu’on vous permet de voir votre époux facilement ?
Cela ne cause pas de problème, même pour les étrangers. La dernière fois, j’ai amené un groupe de journalistes burkinabè, béninois et togolais (qui étaient en formation à Niamey) le voir. Il suffit juste d’avoir un permis de communiquer qu’on prend au niveau du doyen des juges, et le tour est joué.
Moussa Kaka se porte-t-il bien ? De quoi parlez-vous quand vous vous voyez ?
Mon époux est dans une cellule de 12 m2 avec 13 autres détenus à la prison civile de Niamey. Quand on se voit, c’est lui qui me calme. Mais, je sais qu’il ne veut laisser transparaître les choses ; sinon, ce n’est pas facile pour lui. Le plus souvent, nous parlons de la famille, de son business puisqu’il est le promoteur du groupe de radios Saraounia. Pour le moment, c’est moi qui gère le groupe parce qu’il n’est pas là. Heureusement que je le faisais bien avant, sinon ses affaires allaient plonger.
Comment vos enfants vivent-ils l’emprisonnement de leur père ?
Ca va. Ils arrivent à gérer même s’il y a un vide en eux. Il y a quand même quelqu’un qu’ils n’arrivent pas à avoir à la maison. Le week-end ils vont voir leur père à la prison.
Vous avez séjourné dernièrement en France sur invitation de Reporters sans frontières (RSF). Parlez-nous de ce voyage.
J’étais à Paris du 19 au 25 mai derniers effectivement sur invitation de RSF. L’ONG avait organisé un concert gratuit pour soutenir mon époux. Il y avait Tiken Jah Fakoly, El Hadj N’diaye, un humoriste nigérien, Mamane et bien d’autres. A côté, le comité de soutien avait confectionné des tee-shirts à son effigie. J’ai pu rencontrer certaines autorités françaises telles que la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme, Rama Yade, le chef de cabinet du ministre de la Coopération, la présidente d’Amnesty international, l’ancien et le nouveau président de Radio France internationale (RFI) et plusieurs autres personnes.
Vous êtes journaliste. Comment réagissez-vous à la fermeture de la maison de la presse au Niger ?
Franchement, cela me fait mal de voir de tels agissements du pouvoir nigérien, surtout qu’il avait des étrangers qui étaient là pour une conférence à la maison de la presse. On les a expulsés, ce qui est vraiment déplorable. Cela donne une mauvaise image de notre pays. Pour qu’une démocratie puisse avancer, il faut respecter les journalistes. Il faut élargir les espaces de liberté parce qu’il n’y a pas de développement sans démocratie.
Malgré tout, est-ce que vous gardez espoir pour Moussa Kaka ?
J’ai espoir parce que la justice nigérienne fait de son mieux pour sortir Moussa de la prison et parce qu’ils savent qu’il n’a rien fait. On l’a presque libéré deux fois mais le procureur a toujours fait appel. Moussa Kaka ne connaît pas les deux juges. Ils ont travaillé en âme et conscience pour rendre justice mais le gouvernement a refusé de libérer Moussa. Je pense qu’on peut toujours faire confiance à la justice nigérienne.
Propos recueillis par Dayang-ne-Wendé P. SILGA
Le Pays