Pô-Pê : Danse du scalp autour d’un trône
Pô-Pê : Danse du scalp autour d’un trône
mercredi 11 juin 2008.Soudain, tout bouge, tout bascule. Dans l’horreur. La folle matinée du 1er juin 2008 est là. Loani, grand malheur en langue kasséna, s’est abattu sur Nakou, au secteur 4 de Pô.
Au quartier Nakou donc. Ce matin-là pourtant, tout le chef-lieu du Nahouri venait de pousser un retentissant ouf de soulagement. On avait eu peur, la veille, au sujet de l’organisation controversée du 20e anniversaire de l’accession du Pô-pê au trône.
Un groupe de personnes qui dénient, depuis quelques années, toute légitimité au chef avaient officiellement exprimé leur opposition à la célébration de l’événement.
En effet, par une lettre datée du 9 mai 2008, cosignée par Bernard Kobamba et Aliou Bassari, respectivement aux noms des Nakounians (habitants de Nakou) et des Gounians (ceux de Gouni) et adressée au maire de la commune, « les gardiens de la coutume », comme c’est écrit dans ladite correspondance, faisaient la mise en garde suivante :
« Aussi, nous considérons ces actes [NDLR : le 20e anniversaire] comme des défis et de la provocation qui menacent gravement la paix sociale et l’ordre public de la cité, car nous ne resterons pas les bras croisés quand la coutume est bafouée ».
Un homme échappe au supplice du feu
Le samedi 31 mai, le jubilé de porcelaine est célébré, avec faste sur autorisation de l’administration locale, mais sous haute surveillance policière. La commémoration a connu la présence du Paga-Pê, chef coutumier de Paga, une localité du Ghana.
De troubles, il n’y en eut point. La nuit, l’effervescence s’émousse. La ville retrouve peu à peu son calme habituel. Dans les domiciles, on opine sur l’événement avant de se coucher après une rude journée de frayeurs.
Le lendemain matin, tonnerre sous le ciel pourtant serein de Pô. Les nouvelles en provenance de Nakou, quartier limitrophe de celui du palais royal, ne sont pas bonnes : fidèles du Pô-Pê et inconditionnels de sa destitution guerroient dans les ruelles, et même à l’intérieur des concessions.
Armés de gourdins, de machettes, de bâtons, d’arcs et de pierres, des individus fondent les uns sur les autres. S’engage alors une chasse à l’homme d’une rare violence. « Le dimanche matin, on était assis au kiosque quand, soudain, des jeunes proches du palais royal sont venus menacer de tuer un de nos oncles, Ali Tietiembou.
Ils sont repartis immédiatement, pour revenir quelques instants après en force. Armés de machettes, de gourdins et de bâtons, la centaine de jeunes qu’ils étaient maintenant ont commencé à attaquer les gens du quartier », relate, au domicile familial, le jeune Idrissou Tietiembou, dont le père, gravement blessé, a été évacué à Ouagadougou.
Entouré désormais par des femmes et des enfants, il évoque, les yeux embués de larmes, le souvenir le plus douloureux de cette folle journée : « Un des assaillants a fait sortir un bidon contenant du pétrole pour mettre le feu aux maisons où on avait caché les enfants. Mon oncle, qui a tenté de l’en dissuader en tirant un coup de fusil en l’air, a été assommé.
Pendant ce temps, un groupe d’agresseurs entassait de la paille sur mon "vieux", évanoui, pour le brûler. Il aura la vie sauve grâce à l’intervention de la police ». Une version confirmée par une source policière. Miraculé, Idrissou s’en sortira quasi indemne de cette mêlée indistincte pour avoir été caché dans un poulailler par une vielle femme.
La suite des événements lui sera contée par d’autres, dont certains n’ont pas bénéficié de la même baraka que lui. C’est le cas de Salam Tietiembou, dont la tête, sommairement rasée, porte un énorme sparadrap : « Alors que j’étais devant une vendeuse de bouillie, j’ai été encerclé. Soudain, la lame d’une hache s’est abattue sur ma tête. J’ai réussi à m’enfuir directement au dispensaire ».
Une violence qui n’a épargné personne. Ni les enfants, ni les femmes, encore moins certains notables. Si l’antipô-pê incarné, Ali Tietiembou, a pu être exfiltré du champ de bataille par la sécurité, d’abord vers le camp militaire, pour ensuite être conduit nuitamment quelque part à Ouagadougou, son épouse et quelques-uns de ses enfants en auront eu pour leur filiation.
Quant à son domicile, il semble aujourd’hui avoir été soufflé par un cyclone. Assis dans sa cour en compagnie de quelques jeunes, le chef du quartier de Nakou, Zacharia Tietiembou, la cinquantaine rugissante, lui, s’en est sorti avec les flancs endoloris, mais l’humour intact. « Mon quartier a été attaqué par des assaillants, pour parler comme le chef de l’Etat d’un pays voisin. Moi-même j’ai été visé.
On a tenté de me fendre en deux », explique-t-il, le torse mi-découvert, sur lequel zèbre une trace de blessure, vraisemblablement causée par un objet tranchant. L’œil posé sur les deux paquets de cigarettes de marques différentes que vient de lui offrir un des compagnons du jour, il ajoute, mystérieux : « Ceux qui savent mourir meurent à Nakou ».
Une phrase qui pourrait faire sourire de fierté Agassé Tietiembou, militaire à la retraite à Nakou, qui a survécu à une blessure à l’aorte par balles en 1987. Pour avoir participé activement à l’organisation de la fête du trône la veille, il a reçu, le lendemain, la visite, inamicale, de jeunes hostiles à la commémoration. Et il s’en souvient :
« La veille, de retour du palais, on a été lapidés dans le quartier. Nous avons pu regagner nos foyers sous la protection de la police. Le lendemain dimanche, j’ai entendu des cris lorsque je me rendais à l’église. Soudain, tout s’est précipité. J’ai reçu un coup de hache sur la tête [NDLR : Il y porte un gros pansement], j’ai été bâtonné, puis traîné devant mes enfants ».
Au sortir des affrontements, le bilan officiel communiqué par l’administration fait état de 14 blessés dans les deux camps dont un grave, victime d’une fracture à l’omoplate droite et d’une autre au niveau de la tempe. Les dégâts matériels, quant à eux, se rapportent à plusieurs maisons et kiosques saccagés ou brûlés.
Un tableau somme toute catastrophique, mais qui aurait pu être pire, n’eût été l’intervention diligente des forces de sécurité locales, appuyées par un renfort venu de Manga et du camp militaire commando de Pô.
Des jeunes armés depuis la veille
Sur les causes de ce brusque accès de violence, les deux groupes de protagonistes se jettent mutuellement la responsabilité. Pour les uns, tout serait parti de l’agression, ce matin du dimanche 1er juin, de deux jeunes qui avaient fièrement arboré des tee-shirts à l’effigie du Pô-pê. De retour du palais royal, où ils s’étaient rendus pour faire allégeance au chef, ils auraient été molestés par des congénères, et leurs habits déchiquetés :
« Ce jour-là, des gens ont été agressés. Des tee-shirts portant mon image ont été déchirés et brandis comme des prises de guerre. Leurs propriétaires sont retournés à Nakou, lieu de l’agression, pour réclamer leurs tenues. Ils y ont été lapidés puis chassés à coups de bâtons, de gourdins et de coupe-coupe.
Nos agresseurs ont même utilisé une arme à feu, qui a fait des blessés [NDLR : des sources policières font effectivement cas de l’usage d’un fusil, mais précisent que le coup a été tiré à terre dans un but de dissuasion].
Tout est parti donc de l’opposition d’un groupe de personnes qui me refuse le droit et la liberté de manifester chez moi », s’indigne le Pô-Pê, dans son palais (lire encadré). Version en partie reconnue à Nakou :
« Deux partisans du chef paradaient en tee-shirts dans le quartier en menaçant de chasser tous ceux qui ne sont pas de leur camp. Un de nos vieux, qui menaçait de les faire battre, a été pris au collet. Alors nous sommes intervenus. Il y a eu des empoignades et leurs tricots ont été déchirés.
Ils sont repartis, et sont revenus en grand nombre pour nous attaquer », rapporte Idrissou, celui-là même dont le père a subi de graves blessures. Mais pour lui, tout aurait commencé la veille des escarmouches : « La nuit, un de nos frères qui revenait de la ville a été attaqué par des hommes non loin du palais ». Un témoignage qui rejoint celui d’une source policière, laquelle affirme en outre que la nuit, « des jeunes du chef ont barré la route ».
La même source avance que la veille de la fête, des jeunes de Nakou étaient armés aux côtés d’Ali Tietiembou et que le jour de la commémoration, cinq proches du Pô-Pê armés ont été interpellés par la gendarmerie puis libérés après confiscation de leurs armes. Interrogé plus tard dans sa maison d’exil à Ouagadougou, M. Tietiembou nuance :
« Même si des dispositions étaient prises autour de ma maison, c’était pour ma propre protection, car je suis l’homme à abattre du Pô-Pê. Les bons policiers le savent » ; avant de charger : « Le 21 mai dernier, à Manga, lors du délibéré du procès qui nous opposait à Awepo [NDLR : Le prénom du Pô-Pê] pour violation de son domicile en juillet 2005, le tribunal, après nous avoir acquittés, a annoncé à l’ex-Pô-Pê qu’il dispose de 15 jours pour faire appel.
Celui-ci a rétorqué qu’il n’en ferait rien, mais une fois à Pô, il prendra toutes les dispositions pour en finir avec nous. Alors, ce qui s’est passé le 1er juin n’est qu’une mise en application de ce qu’il avait dit à Manga ».
(Lire également encadré). Point de vue partagé par nombre de personnes, qui jugent inopportun le verdict du tribunal qu’elles considèrent comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : « L’arrêt du tribunal est tombé au mauvais moment. Sans doute que le chef a cherché à faire justice lui-même », opine un chef de service qui a requis l’anonymat.
Au-delà de la coutume, des causes politiques et religieuses ?
Mais la déflagration sociale du dimanche 1er juin n’est rien d’autre que l’explosion d’un chaudron de haine, longtemps attisé par un cocktail de ressentiments, même si les deux principaux protagonistes ne l’admettent que du bout des lèvres.
Coulisses d’une guerre du trône.
2000. Le Pô-Pê est élu maire CDP face à un autre candidat du même parti, Alassane Koubaguié, homme lige d’Ali Tietiembou selon plusieurs témoignages. Même désigné au poste de 1er adjoint au président du conseil municipal, Koubaguié n’en décolérera pas moins contre le chef. Les deux hommes restent dans le même navire, mais rament en sens inverses. 2001. Un jeune homme du nom de Jules Nankouli, confié au Pô-Pê, est battu à mort dans la cour royale pour vol présumé d’argent.
L’affaire fait grand bruit dans le Nahouri et dans tout le pays. Des écrits inondent la presse et des voix s’élèvent à Pô pour réclamer justice. Le Pô-Pê, maire à l’époque, se persuade que derrière le mouvement se trame un complot visant à sa destitution de sa charge édilitaire. Et les comploteurs sont tout désignés :
« Le 27 février 2001, il y a eu l’affaire Jules Nankouli. Sur la scène politique, c’est Alassane Koubaguié, Ali Tietiembou et autres qui poussaient la population à manifester contre moi. Le premier voyait en mon départ une occasion de me remplacer à la tête de la mairie ».
Ferme conviction de celui qui sera plus tard déchu de la tête du conseil municipal après un retentissant procès au terme duquel il a été condamné à trois ans de prison avec sursis.
Mais qu’en pense celui que d’aucuns considèrent comme le chef de file des contempteurs du Pô-Pê ? « Même si politiquement je suis contre lui, a-t-il tué oui ou non ?
D’accord que je lui en veux pour des raisons politiques, comme il le dit, mais a-t-il commis un homicide oui ou non ? », contre-attaque Tietiembou. Après un bref intérim au poste de maire, M. Koubaguié est remplacé au terme d’un vote interne par le premier bourgmestre de Pô, Amadou Kora.
14 Juillet 2005. Un groupe de personnes, « les six familles qui peuvent introniser ou destituer un chef », selon Ali Tietiembou, « des fils de collecteurs d’impôts », raille le palais royal, entame la procédure de destitution du Pô-Pê pour homicide de Jules Nankouli :
« Les coutumiers ont décidé ce jour de révoquer le Pô-Pê de son pouvoir pour homicide et cela, conformément au droit coutumier. Dans l’histoire de la chefferie kasséna de Pô, il y a eu trois cas de destitution. Il ne saurait y avoir d’exception à l’égard d’Awepo », clame Tietiembou. Au terme d’un rituel tenu ce jour-la, les « gardiens de la tradition » ont alors désigné un régent en la personne de Justin Yaguibou, frère aîné du disgracié.
« Tout ce qui se passe aujourd’hui vient de là-bas [NDLR : La cour royale], note le chef de quartier de Nakou, Zacharia Tietiembou. En son temps, nous avons dit au Pô-Pê de choisir la porte d’honneur pour rejoindre les ancêtres. Mais il a refusé, préférant la belle vie et les gros boubous. La vie est belle sur terre, mais, de l’autre côté, ce n’est pas mauvais non plus ».
« Ali et Le Pô-Pê sont des chefs de guerre »
Qu’en est-il du problème religieux dont on avait entendu parler ? Pour certains, l’exacerbation de l’inimitié entre le chef et le vieux Tietiembou, dont les domiciles à Pô sont situés l’un à côté de l’autre, serait partie d’une question de leadership religieux.
Pour les tenants de cette assertion, comme Boukari Yaguibou, membre de la famille royale, la levée de la suspension le 5 juillet 2005, par les autorités administratives provinciales, des activités du bureau du comité des musulmans de Pô n’a pas été du goût de Tietiembou, lequel a été remplacé à la présidence de la structure par Aliou Haïdara, proche du Pô-Pê.
Et depuis ce jour, l’ancien leader de la ouma du Nahouri s’était juré de se venger du chef. Moins de 10 jours après, c’est-à-dire le 15 juillet, il aurait mis son projet à exécution en faisant déclencher la procédure de destitution de son « ennemi ». « Sinon comment comprendre que l’affaire Jules Nankouli ait eu lieu en 2001 et que ce soit seulement en 2005 qu’on tente de la réveiller ? », s’interroge M. Yaguibou.
« Oui, j’ai été président de la communauté musulmane de Pô pendant plusieurs années. C’est à ce titre que j’ai aidé Michel Awepo Yaguibou [ : nom que portait le Pô-Pê avant sa conversion à l’islam] à accéder au trône sinon il n’y serait pas parvenu… En retour, il a établi un nouveau bureau en me remplaçant par un de ses amis », dénonce Tietiembou, ajoutant dans la foulée : « Nous lui avons laissé le temps pour qu’il suive lui-même la conduite à tenir. Mais comme il refuse de prendre la responsabilité de s’en aller, c’était notre devoir de le contraindre à la démission ».
Parmi les causes de cette déchirure intracommunautaire, on évoque, à demi-mot, une histoire de femme. « Le problème, dans cette affaire, c’est que le Pô-Pê et Ali sont comme des chefs de guerre. A la moindre occasion, chacun cherche à prendre le dessus sur l’autre », conclut, pessimiste, une autorité de la place. C’est tout dire.
Alain Saint Robespierre
Collaboration : Léon Copia
L’Observateur