Un théâtre chasseur de têtes… d’affiche

Projecteur

Un théâtre chasseur de têtes… d’affiche

 

La plupart des pièces actuellement montées au Burkina Faso ont recours à des têtes d’affiche du petit écran. Certes, elles apportent leur notoriété au théâtre ; ce qui peut aider à la promotion et à la diffusion des spectacles. Mais sont-ils véritablement des comédiens accomplis ? ou d’éphémères idoles au talent incertain, fabriquées par des téléspectateurs en manque de stars ? Quel impact aura leur présence sur le théâtre ?

 

Qui sont ces comédiens du petit écran qui envahissent les planches de théâtre ?

 

D’un côté, il y a ceux qui n’ont jamais fait du théâtre mais  se sont révélés au public grâce à une série télé ou à un spot publicitaire. D’un autre côté, il y a d’anciens acteurs de théâtre de seconde zone qui, après un tour au cinéma, reviennent auréolés d’une célébrité subite. Il y a enfin les comiques de la télé qui font des «one man show» dans certaines émissions. De plus en plus, les professionnels du théâtre leur tresse des ponts d’or pour les avoir dans leur casting. Ce qui est de bonne guerre parce que le théâtre a besoin de leur notoriété subite  pour amener un certain public, celui des téléfilms, qui, d’habitude, le boude. Ces comédiens sont comme de gros lombrics au bout de l’hameçon des metteurs en scène pour pêcher le public du petit écran. Depuis l’avènement des séries télé burkinabè tels «les Bobo Diouf» de Martinet et «le Commissariat de Tampuy» de Missa Hébié, certains comédiens de ces séries ont un public à eux, totalement acquis et s’il est trop osé de parler de fan club et de groupes, on n’en est pourtant pas très loin. Certains sont même des véritables stars dans la sous- région.

Il est évident que ces allers-retours des comédiens entre cinéma et théâtre ne sont pas un fait nouveau. Marlon Brando jouait «un Tramway nommé désir» de Tennessee William à Broadway au moment où il était l’acteur fétiche des réalisateurs et des studios d’Hollywood. Que Michel Galabru, le comédien rendu célèbre par la série des comédies sur les gendarmes avec Bourvil, Lefèvre et Louis de Funès, reçoive cette année «le Molière» du meilleur acteur de théâtre est illustratif de ce fait.

 

Dans le Royaume-Uni, un acteur de cinéma peut faire péter le box-office, il ne sera pris au sérieux ni par les professionnels des arts ni par l’intelligentsia que lorsqu’il aura montré la mesure de son talent en incarnant sur une scène de théâtre un personnage du théâtre élisabéthain. Aussi, la plupart des acteurs britanniques de cinéma sont d’abord de grands acteurs de théâtre ! En France aussi, de Belmondo à Depardieu, les acteurs de cinéma reviennent sur les planches pour obtenir le respect des confrères. Il n’est pas inutile de rappeler que le cinéma fabrique des idoles à partir de rien. Le montage, la lumière, les doublages des voix ou des comédiens permettent toutes les manipulations. Ce qui est impossible au théâtre. Au cinéma, la technique supplée à la défaillance du comédien, au théâtre, seul le souffleur peut aider l’acteur sur scène. Et seulement pour un léger trou de mémoire. D’où la condescendance du milieu des arts du spectacle envers l’acteur de cinéma.

Donc, le théâtre, depuis toujours, se sert de la notoriété du comédien de cinéma pour attirer un large public et le comédien, en retour, se légitime à travers le théâtre.

 

Mais qu’en est-il au Burkina Faso ? Est-ce toujours ce rapport qui prévaut ?

 

Il faut signaler qu’il n’y a pas à proprement parler d’école de l’acteur telle que le Cours Florent à Paris ou l’Actor’s studio de New York. Ce qui fait que l’acteur français ou américain, qu’il soit de cinéma ou de théâtre, a une formation dramatique. Ici, on vient très souvent au cinéma par le bon vouloir du réalisateur et sans le b.a.-ba de comédien.

Au regard des spectacles avec des transfuges du petit écran que nous avons vus, il nous apparaît que les metteurs en scènes sont très complaisants avec ces comédiens-là. Car les prestations sont très souvent décevantes. Leur jeu plombe la pièce au lieu de l’aider à prendre de l’envol. C’est comme si leur présence sur scène et la notoriété acquise dans un téléfilm suffisaient à légitimer leur rôle dans une pièce de théâtre. Nous avons vu des célébrités du petit écran dans «Naba» d'Hubert Kagambèga, dans «l’Os de Mor Lam» d'Issiaka Ouédraogo et dans «La bonne personne» et dans beaucoup d’autres pièces ; et nous avons rarement vu un jeu convaincant de leur part. Ils détonnaient dans ces pièces tels des somnambules au milieu d’une route  passante.

Maladroits sur la scène de théâtre et approximatifs dans la construction de leur personnage, ils offraient une performance très en deçà de leurs partenaires. Mais la faute incombe aux metteurs en scène. Ceux-ci semblent se satisfaire de la présence de visages connus sur les affiches de leur spectacle. Pourtant, les metteurs en scène doivent exiger de ces «guest stars» un véritable apprentissage du métier de comédien de théâtre avant de leur confier un grand rôle. Toutefois, au vu de leur notoriété cathodique et de leur prétendue force d’aimantation d’un certain public, on pourrait leur donner de petits rôles tout en leur offrant des cachets conséquents.

 

 Pour ce qui est des rôles principaux, seul le critère de compétence devrait prévaloir. Parce qu’il y va de l’avenir du théâtre au Burkina.

 

A trop vouloir remplir les théâtres en ratissant large, on court le risque de faire déserter le maigre et fidèle public difficilement acquis. En effet, un téléspectateur appâté par une tête d’affiche viendra une fois au théâtre, mais s’il est déçu par le spectacle, il ne se laissera plus prendre. Le vrai public aussi, celui qui est  amateur d’un théâtre de qualité, ne peut longtemps souffrir de ces greffes, qui ne prennent pas. Un proverbe mossi dit que l’on ne peut piétiner par deux fois les bourses de l’aveugle. A la récidive, le malvoyant aura changé l’emplacement de son trésor ! Ainsi est le public aussi: il ne se laisse pas grugé par deux fois.

Il faut donc que le comédien de cinéma se mette à l’école du théâtre, qu’il travaille sérieusement  pour mériter sa place dans une distribution. Son C.V. de célébrité sur pellicule pourra toujours faire la différence dans un casting, mais il ne saurait être le sésame qui lui ouvrira grandement les portes du théâtre. Si non, il sera au théâtre ce qu’est le ver au fruit : un agent de décomposition !

 

Barry Alceny Saidou

L’Observateur Paalga du 8 mai 2008





09/05/2008
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